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1 mars 2021
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Lorenzo Osti (CP Company) : "Notre fil rouge des cinquante ans, c'est la pertinence de la marque avec son époque"

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1 mars 2021

Acteur historique du sportswear italien, mêlant technicité des matières, inspirations militaires et silhouettes casual, CP Company, dont l'actionnaire majoritaire est depuis 2015 le hongkongais Tristate Holding, affiche ces dernières années un beau regain de forme. Son sportswear urbain a notamment marqué les esprits avec sa veste Goggle, qui intègre des verres dans sa capuche. Fondée en 1971 sous le nom de Chester Perry par le designer et ingénieur textile Massimo Osti, la marque est rebaptisée CP Company en 1978. Massimo Osti a par la suite développé Stone Island en tant que marque avec son partenaire Carlo Rivetti. Lorenzo Osti, fils du fondateur décédé en 2005, est entré dans la société en 2015 avec le repreneur. Il a pris il y a deux ans la direction générale de la marque basée à Bologne. Alors que la griffe célèbre cette année son cinquantième anniversaire, ce spécialiste de l'image et du marketing détaille l'approche de CP Company pour cet événement dont le premier volet sera dévoilé ce 4 mars. Et livre son regard sur le dynamisme du marché du sportswear et les ambitions de CP Company.


Lorenzo Osti - CP Company


FashionNetwork.com : Ce jeudi, vous dévoilez le premier projet célébrant les 50 ans de la naissance de CP Company. Plutôt qu'un événement, vous avez opté pour dix rendez-vous tout au long de l'année. Pourquoi?

Lorenzo Osti :
Avec cinquante années d'histoire depuis la création de la marque, nous ne pouvions pas tout célébrer en une seule fois. Il y a bien entendu le contexte qui ne nous permet pas de mettre sur pied un événement physique de belle ampleur. Mais nous voulions pouvoir faire référence aux différentes périodes de son histoire et aux groupes pour qui la marque a du sens. Le fil rouge c'est la pertinence de la marque avec son temps. Au début, le travail de mon père était sur le look dans les années 70, puis il a travaillé sur l'expérimentation textile, la marque a ensuite été adoptée par des cultures alternatives. Et aujourd’hui nous avons une nouvelle génération de consommateurs qui se passionne pour CP Company. Ces dix projets constituent un ensemble qui va valoriser cette richesse.

FNW : Vous avez créé une page internet dédiée à cet anniversaire, avec une fenêtre par projet. Mais qu'allez-vous proposer: des collaborations, plonger dans les archives techniques ou encore autre chose?

LO :
Je ne peux malheureusement pas dévoiler chacun des projets, mais en effet, notre idée est, via des collaborations ou des développements en interne, de pouvoir mettre en avant un moment fort de l'histoire de la marque. Nous commençons ce 4 mars avec une histoire sur les origines de la marque. C'est un hommage à ma ville Bologne, où la marque est née, à l'ambiance qui y régnait dans les années 70 et au style de l'époque. Chaque mois, nous présenterons un nouvel élément avec des produits spécifiques. Nous avions aussi l'ambition de pouvoir mettre sur pied une exposition. Face à l'incertitude, nous préparons une version physique et une version digitale.


Pour célébrer ses 50 ans, l'équipe de CP Company a créé un drapeau composé des différentes matières développées par la marque durant son demi-siècle d'existence. - CP Company


FNW : En tant que le fils du fondateur de la marque et son actuel directeur général, que représente pour vous ce cinquantième anniversaire?

LO :
Ce n'était pas du tout écrit que cela se passe ainsi. En fait, je suis très fier et même surpris d'être ici aujourd'hui. Mon père avait cédé la propriété de la marque dans les années 80 et l'a quittée en 1993. De mon côté, je n'étais pas dans le secteur. J'avais construit ma carrière dans le marketing et j'avais une agence de publicité. Il y a quelques années je voulais qu'il y ait un héritage, une histoire dans la famille et nous avons réalisé un livre sur CP Company. Mais je ne pensais pas à ce moment là revenir dans la marque. Alors j'ai été contacté par mon actuel partenaire dans l'entreprise. C'était une véritable chance de pouvoir évoluer au sein de la marque. Et c'est incroyable de pouvoir célébrer cet anniversaire en étant à ce poste. J'aime cette marque. J'y tiens et c'est une responsabilité de la défendre et la faire grandir.

"Imaginer le vêtement du futur"




FNW : Les archives de CP Company sont riches. La marque est reconnue pour la technicité de ses matières et ses procédés de teinture. Vous continuez à explorer sur ce plan?

LO : Bien sûr, nous continuons d'investir dans la recherche et développement. Et chaque année, nous faisons des développements dans les matières, les teintures, mais pas seulement. Je vois le monde accélérer dans l'innovation technologique et cela va concerner aussi l'innovation textile. Nous sommes dans les premiers pas de la mise en place de process de R&D sur ce sujet. Aujourd'hui beaucoup de secteurs sont très pointus et j'ai le sentiment que le nôtre est encore en retrait. Il y a un potentiel formidable à explorer sur les interactions entre le vêtement, la technologie et le big data. Nous allons pouvoir imaginer le vêtement du futur et ce que nous attendons de lui. Nous n'avons pas encore de réponse, mais c'est dans l'esprit de la marque d'avancer sur ce sujet.


La Metropolis Jacket version printemps-été 2021 - CP Company



FNW : Justement l'année qui vient de s'écouler, avec cette pandémie mondiale, vous n'avez pas été bloqué dans votre sourcing et vos capacités de production?

LO :
Non pas du tout. En revanche, nous amorçons un changement pour développer notre approche RSE. Nous avons fait appel à un cabinet spécialisé pour nous accompagner sur ce dossier.

FNW : Cela doit être un dossier important pour trouver des alternatives responsables aux techniques et traitements que vous appliquez à vos vêtements...

LO :
Pour les marques qui proposent du coton, elles disposent en effet d'un spectre de solution alternatives. Nous, nous devons créer ces alternatives. C'est un challenge que nous allons relever pas à pas.

"Le vêtement doit avoir du sens, une portée culturelle"



FNW : La pandémie a-t-elle eu un impact sur votre approche créative? Avez-vous développé des produits orientés sur des aspects sanitaires?

LO :
La chose qui a été déstabilisante c'est que deux mois avant le début de la pandémie, nous avons réalisé une réédition de notre Metropolis Jacket, un modèle de 1999. Celle-ci intégrait justement un masque. Bien sûr ce n'était pas lié au Covid. C'était une réponse aux questions sur la pollution de l'air.

Une fois que la pandémie était là, nous avons travaillé dans un premier temps sur des matières qui pourraient avoir des propriétés antivirus, mais il est apparu que le virus se transmettait plutôt par voie aérienne. Nous avons tout de même développé nos propres masques et nous avons reversé les bénéfices aux services de santé.

Je pense que ce virus va affecter durablement nos habitudes, nos rapports aux autres, au fait de se réunir, au fait de vivre beaucoup plus à la maison.

FNW : Les consommateurs de mode semblent se tourner vers les bas prix et les marques premium, délaissant le milieu de gamme. Un point positif pour CP Company? Pensez-vous que cela va durer?

LO :
Les frontières entre le temps de travail et le temps libre sont plus floues. Les gens sont moins en costume-cravate. C'est une tendance générale. Elle bénéficie particulièrement aux marques des années 80 et 90 comme Stone Island ou CP Company. A cette époque, le vêtement était un élément fort de l'acceptation sociale. Certains clients étaient prêts à économiser plusieurs mois pour s'offrir un vêtement. Puis la fast-fashion est arrivée et le vêtement est devenu un produit comme un autre. Le statut social s'est alors exprimé via la technologie, il fallait avoir le dernier iPhone. C'était le symbole.


Les archives et leur réinterprétation dans l'air du temps, un élément clé de la réussite de la marque - CP Company


Ces dernières années, la technologie porte de moins en moins cette fonction. Ce rôle est revenu vers le vêtement. Mais celui-ci doit avoir un sens, une portée culturelle. Nous avons des clients de 17 ans qui ne connaissaient pas la marque et qui se passionnent pour elle, deviennent des experts et sont prêts à payer la qualité et la pertinence culturelle. C'est captivant. C'est cette portée culturelle qui est essentielle.

Cela ne signifie pas forcément avoir un savoir-faire ou une histoire. Prenez les jeunes marques qui fonctionnent actuellement. Elles ont toutes comme éléments fondamentaux la transparence et l'écoresponsabilité. C'est en lien direct avec les préoccupations, le terreau culturel actuel.

FNW : Au niveau de l'activité, quelle a été votre performance en 2020?

LO :
Nous avons été très chanceux, car nos clients nous ont suivi. Nous réalisons un exercice à +17%, là où nous visions +20%, après avoir fait un travail sur notre réseau de distribution qui compte un millier de points de vente. Notre actionnaire majoritaire est coté à la Bourse de Hong Kong, donc je ne peux pas donner plus d'éléments. Nous bénéficions de la tendance qui porte le sportswear des années 90 mais je pense que toute l'équipe a fait un gros travail depuis plusieurs années.

C’était mon objectif à mon arrivée en 2015, faire de cette marque très sophistiquée, avec beaucoup de technicité, un acteur pertinent sur le marché. C'est ce que m'avait partagé Moreno Ferrari (designer de CP Company dans les années 90), la force de CP Company était de refléter les préoccupations de son temps. Chaque fois que la marque a fonctionné c'est quand elle était connectée à la société. Je crois que depuis cinq ans, nous avons fait les bons choix, dans le design et le marketing.

FNW : Avec le rachat de Stone Island par Moncler, la focale est fixée sur votre secteur. Pensez-vous que des investisseurs vont se tourner vers vous?

LO :
Je crois que c'était réellement la meilleure option possible pour Stone Island. Pour continuer de grandir, la marque aurait dû se tourner vers des fonds ou entrer en Bourse. Là, elle a en Remo Ruffini un homme qui a démontré son expertise pour le développement d'une marque sportswear. Clairement, ce deal met en lumière notre secteur. Et nous avons déjà eu des approches. Mais ce n'est pas le moment pour nous.

FNW : Quelle est la dynamique de la marque et quels sont vos projets pour 2021 ?

LO :
En 2021, nous envisageons de croître à un rythme plus important qu'en 2020. Depuis cinq ans, nous avons toujours progressé entre 20% et 40% chaque année (à la reprise le chiffre d'affaires était estimé entre 12 et 15 millions d'euros, ndlr). Nous avons ouvert un magasin à Amsterdam et envisageons des ouvertures à Paris et dans le sud de la France d'ici la fin de l'année. Notre dynamique est très forte en Europe (l'an passé, en France, la marque distribuée par l'agence Robert Dodd a enregistré une progression de 50% de ses ventes). Nous bénéficions de cet héritage culturel, nos clients retrouvent des vestes dans l'armoire de leur père. Même si notre actionnaire est basé à Hong Kong, c'est un travail que nous devons réamorcer au Japon et réaliser en Chine. Nous avançons avec nos deux magasins à Pékin. Nous sommes dans une très belle dynamique.

FNW : C'était donc le bon choix de relever ce challenge il y a cinq ans?

LO :
Je dois remercier mon partenaire Peter Wang qui a apporté les fonds pour reprendre la marque (Lorenzo Osti possède 5% des parts de la société, ndlr). Au moment des négociations, même si je suis un amoureux de CP Company et que la marque signifie beaucoup pour moi, je trouvais que le montant était trop élevé. Il a insisté et m'a dit qu'il voulait acquérir la société. Aujourd'hui, nous sommes 80 dans l'entreprise et nous continuons de grandir. Il a vraiment eu raison.


 

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