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15 oct. 2019
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Eric Goguey (24S) : "Le luxe, c’est se mettre au niveau du client"

Publié le
15 oct. 2019

Lancé en juin 2017, le site de vente en ligne de mode haut de gamme du groupe LVMH, 24 Sèvres, rebaptisé 24S en mai dernier, s’est agrandi et a déménagé dans de nouveaux locaux parisiens plus spacieux à Montparnasse. Depuis septembre, il a ajouté une offre de mode masculine aux côtés des accessoires, de la bijouterie et du prêt-à-porter féminin. Son directeur général, Eric Goguey, a rencontré FashionNetwork.com pour faire le point, dans une discussion à bâtons rompus.
 

Eric Goguey - 24S

 
FashionNetwork.com : Lors de son lancement en juin 2017, 24S ambitionnait de devenir le "Net-A-Porter" à la française. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
 
Eric Goguey :
Nous comptons une centaine de personnes et nous sommes dans 100 pays dans le monde. L’une des grandes surprises, à la suite de notre lancement, a été de constater l’attraction très importante que nous avons en dehors de la France. Les ventes à l’international pèsent plus de 80 % sur le total.

FNW : Pourquoi avez-vous changé de nom en passant de 24 Sèvres à 24S ?

EG :
En fait, nous n’avions pas anticipé une telle internationalisation. Cette année, nous avons ouvert en Corée et en Allemagne. Il nous est apparu absolument nécessaire de raccourcir le nom, ce qui le rend beaucoup plus intelligible pour ces clients. Par ailleurs, aujourd’hui, le site est décliné en quatre langues : français, anglais, coréen, allemand. Nous serons nécessairement amenés dans le futur à en ajouter plusieurs. Nous sommes quand même sur des achats qui sont engageants. C’est cela le luxe, c’est se mettre au niveau du client.
 
FNW : Pourquoi avoir choisi d’ajouter la langue coréenne ?

EG :
Chemin faisant, nous avons vu que la Corée du Sud prenait des positons de plus en plus importantes. Nous avons donc décidé d’offrir aux Coréens une expérience beaucoup plus localisée, dans leur langue. Nous avions observé, en effet, que des clients passionnés faisaient des vidéos du site sur lesquelles ils traduisaient eux-mêmes les pages en coréen sur certains forums. Dès que nous avons mis en place la langue, la hausse des ventes a été exponentielle dans ce pays. Il s’est passé la même chose en Allemagne.
 
FNW : Quel est votre premier marché ?

EG :
Les Etats-Unis, suivis par la France, la Corée, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Sur le Moyen-Orient joue encore la dimension "langue". Certains marchés nécessitent un traitement vraiment à part par une équipe dédiée, qui va au-delà du digital, avec une relation client totalement humaine. Ce sont ces équipes que nous sommes en train de mettre en place, qui vont prendre le temps d’aller voir ces clients. Actuellement, toutes nos équipes sont à Paris, mais elles voyagent beaucoup.

Sur l’international, dans un certain nombre de pays, nous n’opérons pas de manière suffisamment efficiente. Nous souhaitons y apporter une meilleure couverture et une expérience dans la langue du client, en optimisant aussi l’assortiment et les tailles en fonction de la demande dans ces pays-là. A chaque fois que nous rajoutons un produit, nous voulons avoir un super niveau de qualité dans 100 pays dans le monde. Il nous faut donc abattre les contraintes pays par pays.
 
FNW : Et la Chine ?

EG :
Aujourd’hui, on livre la Chine. Mais c’est un marché qui est compliqué, sur lequel il y a deux acteurs majeurs. Il faut avoir une stratégie qui soit adaptée pour pouvoir percer dans ce pays. Je préfère que nous prenions notre temps pour y aller bien et avec le bon modèle.
 

"Il y a un angle mode à la Parisienne"



FNW : Vous avez combien de marques ?

EG :
Plus de 250 pour l’homme et la femme. Nous avons quasiment toutes les griffes de LVMH, mais elles représentent une minorité. L’idée, c’était de sélectionner les marques en fonction des attentes du client, mais aussi de notre vision esthétique et d’achats. Il y a un angle mode à la Parisienne. La marque doit être à la fois celle que porterait une femme à Paris et qui se trouverait au Bon Marché.
 
FNW : Le lancement de 24S n’a pas été facile. Vous êtes arrivés en retard par rapport à d’autres concurrents. Avez-vous changé de stratégie en cours de route ?

EG :
La stratégie n’a pas changé énormément par rapport au lancement. Comme tout nouveau business, il faut du temps pour démarrer, pour trouver les premiers clients, les convaincre, se faire connaître, développer une image pour pouvoir générer les premières ventes, connaître la clientèle et les pays dans lesquels elle réside. Nous sommes quand même sur des pièces chères !
 
FNW : Quelle stratégie a été mise en place ?

EG :
Nous avons démarré avec une approche agile en débutant avec une fonctionnalité ou un produit, pour avoir des datas et optimiser par la suite sur la base du comportement du client. Cela nous a permis de raccourcir les temps. En proposant aux clients un premier assortiment, nous nous sommes adaptés en fonction des ventes.

Nous avons commencé avec la mode femme, qui représente la plus grande surface au Bon Marché et reste clé sur le marché de la mode. Derrière, de manière assez logique, nous avons ajouté la mode masculine, car nous avions déjà un nombre important de clients hommes qui viennent sur le site pour faire des cadeaux. L’homme a été lancé au début du mois de septembre et nous voyons qu’il y a déjà 45 % de produits masculins achetés par des femmes avec une clientèle globalement jeune. 
 
FNW : Quel est le profil de vos clients ?

EC :
Il est jeune. Il a entre 25 et 30 ans et est très international avec un comportement d’achat légèrement différent en fonction des pays. Sur la plaque asiatique, on va être sur des marques comme Off-White, alors que sur l’Europe, et particulièrement la France, on va être sur des marques un peu plus contemporaines telles que A.P.C. ou Isabel Marrant.
  
FNW : Comment vous différenciez-vous par rapport à la concurrence ?

EG :
Tout d’abord par l’offre. Nous avons un assortiment de marques très haut de gamme. Nous sommes les seuls à proposer Dior, Celine et Louis Vuitton. Ce qui nous permet de viser le segment haut du luxe. Mais pas uniquement, car notre approche est depuis le départ une vision du mix & match.
 
FNW : Vous mettez en avant aussi un service "incomparable"...

EG :
Nous proposons une vraie expérience dès que le paquet est livré. Cela commence avec un packaging personnalisé. Nous avons passé autant de temps à construire le site qu’à définir cette expérience, avec comme objectif pour nos créatifs de provoquer cinq secondes de joie et de sourire au moment de l’ouverture de la boîte. Tous les trimestres, nous travaillons avec un certain nombre d’artistes qui expriment leur vision de Paris au sein de la boîte. Mais ce n’est pas tout. Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’e-commerce qu’il ne faut pas mettre de l’humain dans la relation. C’est la prolongation de ce que vous pouvez vivre en magasin. D’où l’importance de notre service clients.
 

"Nous avons internalisé le service client, qui joue un rôle essentiel"



FNW : Comment se caractérise-t-il ?

EG :
Nous avons internalisé le service client, qui joue un rôle essentiel. Nous n’embauchons que des personnes passionnées de mode et surtout qui ont une vraie empathie et prennent le temps avec le client. A ce titre, lorsqu’ils arrivent chez nous, tous nos collaborateurs passent systématiquement du temps dans ce service. Toutes les semaines, il y a un rapport très détaillé avec les retours des clients. Même si le client n’est pas présent physiquement, tout est mis en œuvre pour le faire vivre au sein de l’entreprise.
 
FNW : Qu’en est-il de la livraison ?

EG :
La livraison est externalisée. Nous travaillons avec DHL. Lorsque vous commandez un produit le matin, heure de New York, vous le recevez le lendemain. Nous avons des temps de livraison très, très réduits. Par ailleurs, sur Paris et la région parisienne, nous offrons un service de gants blancs qui permet de choisir un créneau horaire d’une demi-heure sur lequel un coursier en costume va venir vous livrer le produit et attendre en bas de chez vous, le temps que vous fassiez votre essayage, afin de pouvoir le reprendre s’il ne vous convient pas.
 
FNW : Quel autre type d’équipe avez-vous mis en place ?

 EG :
La particularité, c’est que la dimension technologique a été mise dès le début au centre de l’entreprise. Nous avons internalisé un très grand nombre de postes de développeurs et de développeuses. Ces dernières sont notre fierté, car elles sont très rares. Or dans le monde de la mode, cela nous paraissait important de trouver des développeuses appréciant la mode.
 
FNW : Quel est l’apport de Ian Rogers, directeur de la stratégie digitale de LVMH depuis 2015, qui a mis sur pied le projet de 24S ? 

EG :
C’est un entrepreneur. Il a une vision digitale et stratégique hyper aigüe. Il a la chance d’avoir monté et démonté un grand nombre de sociétés.
 
FNW : Visuellement, votre site semble plutôt traditionnel…

EG :
La dimension visuelle est là pour valoriser les produits et les marques que l’on commercialise. Ce n’est pas parce que l’on vend des produits de luxe qu’il faut aller casser la manière de naviguer des clients. Les clients sont habitués à acheter en ligne depuis la fin des années 1990 avec Amazon et à avoir un certain nombre de codes. Tous ceux qui ont essayé de casser ces codes se sont plantés, car les clients n’ont pas envie de réapprendre à acheter. L’ésotérisme, cela ne fonctionne pas. Ce que l’on vend, ce sont des produits. La différence doit se faire par l’assortiment, par la sélection des marques, des articles, mais aussi via le merchandising. C’est en effet un vrai choix éditorial, lorsque vous avez des milliers produits, que d’aller pousser l’un ou l’autre.
 
FNW : C’est pour cela qu’au-delà des produits, 24S propose peu de contenus ?

EG :
Nous ne deviendrons jamais un éditeur de presse. L’idée, c’est de "starifier" les produits que l’on commercialise. Notre rôle, c’est de faire parler le produit et d’expliquer notre sélection et, à la limite, pourquoi il faut associer telle pièce avec telle autre. Nous sommes avant tout des commerçants. Nous ne sommes pas là pour faire de l’éditorial. D’autant que les clients sont extrêmement éduqués, ils ont une compréhension de plus en plus forte de l’information qui leur est présentée.
 
FNW : Pourquoi les clients du luxe préfèrent acheter en ligne plutôt qu’en boutique ?

EG :
Ils adorent aller en boutique. Mais l’on ne trouve pas forcément des boutiques partout et puis il y a une dimension pratique. Dans le monde actuel, le plus grand luxe, c’est le temps. Il y a toute une typologie de clients qui n’ont plus le temps. A partir du moment où vous est offert un service fluide avec le produit livré en 24-48 heures, la possibilité de le faire retirer si ça ne convient pas, d’avoir un retour rapide, de chatter directement avec le commerçant, il n’y a aucune raison de ne pas acheter en ligne ! Notre responsabilité, c’est de s’assurer de ne pas faire perdre de temps au client, car il n’en a pas.
 
FNW : Pouvez-vous nous donner quelques chiffres sur votre activité ?

EG :
Nous ne donnons pas de chiffres. Ce que je peux vous dire, c’est qu’aujourd’hui nous avons une croissance qui est très forte, en ligne avec ce que l’on attendait. Et cette croissance est très internationale.
 
FNW : La prochaine étape ?

EG :
On en parlera le moment venu.

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