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19 avr. 2022
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Yves Dubief (UIT): "L'industrie textile rembourse les PGE à l'heure où elle aurait besoin de soutien bancaire"

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19 avr. 2022

A la tête de l'Union des industries textiles depuis dix ans, Yves Dubief quittera la présidence le 31 mai prochain. Transition qui intervient dans un contexte positif, après un bon exercice 2021, mais riche en incertitudes. Du coût galopant de l'électricité aux potentielles restrictions de gaz, en passant par les relations avec banques et assureurs, l'avenir du crédit d'impôt collection et les attentes vis-à-vis du prochain quinquennat, le représentant de la filière livre à FashionNetwork.com son analyse des défis à relever.


Yves Dubief - UIT


FashionNetwork.com : La reprise est là, mais contrariée par de nombreux facteurs. Quelle vision d'ensemble a l'UIT du contexte dans lequel évolue la filière?

Yves Dubief : Notre vision actuelle est bonne, mais teintée d'inquiétudes. Bonne car les entreprises ont eu une année 2021 satisfaisante, à quelques exceptions près. Et elles disent avoir un bon carnet de commandes pour ce début d'exercice 2022. Des commandes qui sont bonnes jusqu'aux vacances. Tout cela semble donc bien se présenter. En revanche, pour la rentrée, les carnets de commandes ne sont pas vraiment là. Cela intervient dans un climat d'inflation qui touche tout ce que l'on consomme: plastique, emballages, palette… Tout ce qui touche à l'emballage augmente de 40 % à 50%, que cela vienne du bois ou des énergies fossiles. Vous avez ensuite les matières premières. Pour les matières naturelles, la hausse n'est pas liée au conflit en Ukraine, elle s'inscrit dans un mouvement long. Le prix du coton a été multiplié par deux depuis le début de la crise sanitaire, tandis que le lin affiche des croissances à deux chiffres. Et les matières artificielles (polyamide, polyester, acétate…), dérivées du pétrole, ont elles aussi fortement augmenté du fait de la crise actuelle.

FNW : S'ajoute à cela la hausse du coût des énergies…

YD : Pour le gaz et l'électricité, la situation n'est pas la même selon les entreprises, qui ont des couvertures contractuelles plus ou moins longues. La plupart d'entre elles ont des couvertures pour 2022, mais vont être obligées de passer ensuite sur de nouvelles couvertures, alors que le prix de l'électricité a été multiplié par trois, et le gaz presque par cinq, selon le moment où on l'a acheté. On n'est donc pas là sur du +40 %, mais sur du +300 ou +400 %. Le problème est tel que l'on n'ose pas encore couvrir pour les années 2023, 2024 et 2025. Les fournisseurs d'électricité nous disent eux-mêmes qu'ils ne font pas de contrats pour le moment car c'est trop élevé. La demande d'électricité nucléaire dans le cadre de l'ARENH ( l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique pour les fournisseurs alternatifs, ndlr) a été telle qu'elle a été plafonnée, causant un surcoût pour les entreprises.

FNW : Le décret imposant une consommation réduite du gaz, voire des coupures, vous inquiète-t-il ?

YD : Ce décret concerne ceux qui consomment plus de 5 gigawattheures. Or, Il faut savoir que tous les ennoblisseurs et teinturiers sont au-dessus de cinq gigas, à l'exception des toutes petites structures. Le décret est là, il existe. Sont évoquées des amendes allant jusqu'à 8% du chiffre d'affaires. Nous attendons de savoir quelle forme prendront ces contraintes: d'un engagement à ne pas tourner tel jour, moyennant une compensation financière, ou à réduire sa consommation étalée sur un mois, jusqu'à des arbitrages plus brutaux pour d'autres. Ça n'est pas un bon point pour le Made in France. Le finisseur est un maillon de la chaîne. Si vous produisez du tissu ou du tricot, et qu'il n'est pas teint ou imprimé, et bien il n'est pas vendable, et le confectionneur n'aura pas les matériaux pour fabriquer. Là-dessus, nous serons dans le même bateau que nos compétiteurs européens, mais pas par rapport à l'Asie. Sachant qu'il y a également des incertitudes sur cette zone, avec toute la région de Shanghai actuellement confinée.

FNW : Répercuter ces hausses sur les prix suffit-il à protéger les trésoreries?

YD : Tous ces éléments fragilisent les entreprises. Car, même si elles arrivent à passer ces hausses dans le prix de vente, ce qui n'est pas gagné, surtout au second semestre, cela augmente leur besoin en fonds de roulement. Or, ce BFR, il faut le financer, dans une période où les entreprises doivent aussi commencer à rembourser leur PGE. Il y a un effet ciseau: nos entreprises remboursent les PGE à l'heure où elles auraient besoin de soutien bancaire. Et nous avons quelques retours nous parlant de difficultés de financement auprès des banques, à qui il faut parfois demander des lignes de crédit supplémentaires. Côté assurance, moi qui ai la chance d'avoir un bâtiment assez moderne (Yves Dubief dirige le tisseur vosgien Tenthorey, ndlr), j'ai pu renouveler le contrat, mais avec une hausse de six points sur le prix. Mais si vous avez un bâtiment moins bien équipé, certains ne veulent plus aujourd'hui assurer. Il suffit d'un ou deux problèmes dans le textile pour que les assureurs pensent que tout le secteur est comme cela. Quant aux difficultés d'assurance-crédit, elle touche les industriels, mais aussi leurs clients: la distribution textile a connu des diminutions de couverture, et même parfois des annulations.

FNW : Côté distribution, justement, vous attendez-vous à une contraction des dépenses en textiles?

YD : Sur la rentrée, ce climat inflationniste fait que le consommateur peut restreindre ses dépenses. Il peut se dire qu'avec un budget donné, en raison de l'augmentation générale des prix, il achètera moins de pièces ou des pièces différentes. D'autant plus que, même si son budget global a profité d'une hausse de salaire, il ne sait pas si la hausse des coûts de l'électricité sera encore plafonnée à 4% pour les particuliers l'an prochain. Et le prix à la pompe a, lui, déjà augmenté. Donc si le budget "énergie et transport" augmente, à revenu similaire, il faut bien réduire les dépenses. Pour le textile, cela peut restreindre le volume à mettre sur le marché à partir de la rentrée. On voit d'ailleurs qu'en mars déjà, les ventes n'ont pas été extraordinaires, avec un climat d'attente qui fait que chacun a le pied sur le frein. La filière de l'ameublement indique d'ores et déjà sentir un fort ralentissement sur l'équipement de la maison, après une année de consommation assez forte en 2021.

FNW : L'impact d'une campagne présidentielle sur la consommation est connu. Le scrutin est-il pour vous un vecteur d'incertitudes supplémentaire ?

YD : Le 24 avril, selon les résultats, il y aura des effets différents sur l'image de la France, la politique européenne, la politique d'immigration… Notre industrie manque de compétences et de bras. L'immigration peut certes être contrôlée, mais elle reste nécessaire. Sont également évoquées des mesures fiscales, des hausses de salaires… Chacun vend plus blanc que blanc. Mais même si on connaîtra le président de la République, on ne connaîtra pas encore le Parlement, et la majorité pourra rendre ce quinquennat difficile. On sait que les coalitions, sur certains sujets, cela peut donner un résultat très différent de celui voulu par l'Elysée.

L'UIT souhaite une baisse plus marquée des impôts de production



FNW : Vous avez adressé plusieurs demandes aux candidats…

YD : Oui, il nous paraissait essentiel de parler de compétitivité, notamment. Avec une baisse des impôts de production, en allant beaucoup plus loin que ce qu'a fait Bruno Le Maire, ce qui était déjà consistant. Aller aussi plus loin sur la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), la CFE (cotisation foncière des entreprises) et la C3S (contribution sociale de solidarité). Il faut aussi une préférence européenne pour les marchés publics, des clauses miroirs imposant à ceux qui exportent vers l'UE les mêmes conditions qu'aux industriels européens sur la pollution et le social. Nous demandons aussi l'augmentation des salaires nets via la baisse des charges sociales salariales. Il faut aussi maintenir le crédit d'impôt recherche et, surtout, le crédit d'impôt collection.

FNW : Le crédit d'impôt collection est-il en danger?

YD : Ce sont des éléments qui peuvent être remis en cause lors de discussions sur les projets de loi de finance. Emmanuel Macron ne l'a pas menacé, et je pense que Marine Le Pen non plus. Le crédit d'impôt collection, c'est seulement 42 millions d'euros pour la mode, la maroquinerie et l'horlogerie. Donc cela peut très bien passer. Cependant, le CIC avait été renouvelé en 2019 avec un point d'évaluation fin 2022. L'Etat pourra donc nous demander si cela a permis des formations, embauches, investissements… Si l'évaluation n'est pas bonne, ou moyenne, le CIC pourra disparaître. C'est donc un vrai dossier à défendre. Un vrai point de vigilance pour la filière.

FNW : Vos propositions portent également sur la transition écologique et l'attractivité?

YD : Il faut mettre en place un vrai affichage environnemental, et une vraie transparence de la production du vêtement, ainsi que pérenniser des aides à l'innovation qu'on a jusque-là trouvés dans le plan de relance et le Plan 2030. Et en termes d'attractivité, il faut faire connaître les débouchés aux jeunes, aux parents et aux professeurs, ainsi que dynamiser les compétences. Un salarié qui entre en entreprise doit pouvoir profiter de formations internes et externes pour grimper les échelons. Plus qu'un métier, il faut que les jeunes se voient offrir une carrière dans le textile.

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