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Clémentine Martin
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12 nov. 2018
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Virgil Abloh livre sa vision du nouveau luxe

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Clémentine Martin
Publié le
12 nov. 2018

On ne présente plus Virgil Abloh. Le créateur américain aux manettes d’Off-White et des collections homme de Louis Vuitton est sûr de lui, débordant d’idées et toujours en avance sur son temps. À ses côtés, Alexandre Arnault, le PDG de Rimowa et fils du propriétaire du groupe de luxe LVMH. Unis par leurs collaborations, leur nouvelle vision du luxe, les millennials et même Kanye West, qui les a rassemblés à Paris il y a 10 ans, ils confrontaient vendredi leurs ressentis à propos de l’industrie de la mode dans une salle bondée de l’Hôtel Potocki, à Paris, à l’occasion du Vogue Fashion Festival.


Virgil Abloh et Alexandre Arnault lors du Vogue Fashion Festival - Fashion Network


Off-White : du succès sur Internet au développement retail

« Off-White, c’est mon journal, une conversation avec moi-même », lance Virgil Abloh au public de journalistes, professionnels et étudiants du secteur, parmi lesquels on trouve bon nombre de fans du directeur artistique star du moment. Fondée en 2014, la marque Off-White « est partie de rien » pour construire son image et inventer un logo célèbre aujourd’hui. Du côté de la maison française, le défi consiste à faire évoluer les codes préétablis. « Ma relation avec Louis Vuitton est différente. C’est un dialogue avec l’héritage d’une maison fondée en 1854. Mais comme chez Off-White, le branding et l’iconographie restent très importants. Le monogramme est un outil de travail fascinant », reconnaît Virgil Abloh.

En revanche, la marque aux 5,5 millions de followers sur Instagram est le laboratoire d’idées de Virgil Abloh. « Off-White, c’est l’homme, c’est la femme… C’est aussi bien une robe de mariée qu’un sweat », souligne le designer, connu pour son approche multidisciplinaire et pour ses créations prolifiques, qui se déclinent en des dizaines de collaborations médiatiques. Un ciel sans nuage pour Virgil Abloh, dont la marque a été consacrée par le site Lyst comme la plus recherchée de l’année. Cela n’empêche pas certains de questionner le positionnement prix des articles et leur appartenance ou non au luxe. « On me pose souvent cette question », sourit Virgil Abloh. « Off-White effectue sa production dans des ateliers responsables et compte une équipe de 40 personnes bien rémunérées », se défend-il. Il conclut : « D’une certaine manière, c’est le prix de la créativité. »

Le 25 octobre dernier, Off-White a ouvert les portes de sa boutique de Dubaï. Et si la marque s’est fait repérer en grande partie grâce aux réseaux sociaux et au boom du digital, le canal physique reste essentiel pour son fondateur, qui a fait son début de carrière dans le monde de l’architecture. « Off-White n’est pas une boutique en ligne », martèle-t-il, rappelant que la marque compte actuellement une vingtaine de boutiques et vise les 40 dès l’année prochaine. Tous les espaces de vente de la griffe sont différents, selon la règle instaurée par le créateur, qui veut apporter une valeur ajoutée à l’expérience client. « Il faut penser aux pièces en édition limitée destinées à être "sold out", mais aussi à la place à donner à tout le reste des produits qui sont le fondement de la marque », explique-t-il. Il évoque Colette comme espace physique de référence. Alexandre Arnault, quant à lui, préfère « la relation 360° avec le client de l’Apple Store ».

Le produit, le luxe et les collaborations

« Virgil voulait déjà faire une collaboration avec Rimowa avant que celle-ci ne soit rachetée par LVMH (en 2016) », commente son président entre deux éclats de rire. Il reconnaît que l’idée des fameuses valises transparentes vient du créateur d’Off-White. Un style qui, selon Alexandre Arnault, contraste avec la tendance sociale actuelle, obsédée par les données et la confidentialité. « La transparence permet de créer des liens avec les gens. Quand on expose un peu plus que ce que le client est habitué à voir, cela crée une connexion personnelle avec la collection », explique le designer, qui souligne la nécessité de renouveler l’offre pour inciter à l’achat.


Pour Virgil Abloh, les collaborations dessinent le renouveau de la mode - LVMH


« Le design peut être une industrie très gourmande », reconnaît Virgil Abloh en même temps qu’Alexandre Arnault explique sa niche de marché en reprenant l’exemple des iPhones d’Apple. « Les gens n’ont pas besoin de plus de trois valises, donc il faut développer des idées pour qu’ils reviennent. Pas parce qu’ils ont besoin d’une valise, mais parce qu’ils veulent cette valise en particulier. » Il conclut à propos de l’évolution de la société basée à Cologne : « Quand nous avons acheté Louis Vuitton dans les années 1980, l’entreprise avait la taille de Rimowa aujourd’hui. Nous avons du potentiel de croissance et je nous vois bien nous positionner sur le créneau du “luxe fonctionnel” comme une marque de luxe désirable et adaptée aux usages du consommateur ». Concernant les collaborations, le créateur américain est de son côté très clair : « Dans le passé, on les taxait de projets marketing, mais pour moi, ce sont elles qui entraînent le renouveau dans la mode. »

Virgil Abloh est parfois la cible des critiques en raison de son absence de formation dans le secteur, réduisant son rôle à celui de directeur créatif « nouvelle génération ». Mais il analyse le phénomène avec recul. « Je crois que le design de mode était différent avant. Aujourd’hui, pour un créateur, le plus important est de comprendre l’écosystème dans lequel nous vivons », analyse-t-il à propos du processus créatif, de l’évolution des défilés et des changements induits par l’explosion du numérique. « Le facteur social et les réseaux sont essentiels dans ce changement de paradigme. Les consommateurs ne reçoivent pas seulement un produit, ils établissent une relation avec lui et créent le message ». Alexandre Arnault ajoute : « Avant, les marques dictaient ce qu’elles voulaient vendre. Mais aujourd’hui, il est impossible de contrôler un message auquel on peut répondre, qu’on peut retweeter ou liker ».

Selon Virgil Abloh, ce changement de contexte implique aussi une évolution dans le concept. « Il faut remettre en question les termes de luxe, “high fashion”, “low fashion” et streetwear. Le sens du mot “luxe” est lié aux générations antérieures, alors qu’aujourd’hui, ce qui crée le lien, c’est la pertinence », explique-t-il. Un point de vue que partage Alexandre Arnault, qui assure ne guère apprécier le lien automatique entre prix et luxe. Selon lui, le concept de luxe devrait être lié à ce qui fait l’originalité du produit. Leader d’une nouvelle génération qui veut changer les règles du jeu, Virgil Abloh conclut : « En tant que créateur, je veux proposer aux consommateurs des produits dont ils peuvent être fiers. Je veux que les gens se demandent d’où ils viennent. Le nouveau luxe consiste à créer cette connexion émotionnelle avec le produit. »

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