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1 oct. 2021
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Stéphane Collaert (Minelli et San Marina): "Devenir en France le leader de la chaussure femme en cuir"

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1 oct. 2021

L'annonce, réalisée en fin de journée ce 30 septembre par un communiqué de presse succinct, marque la fin de vie d'un colosse de la distribution mode française. Minelli, avec ses 700 salariés qui ont réalisé 93 millions d’euros de chiffre d'affaires en 2020 via 260 magasins, est cédée à Stéphane Collaert, Laurent Portella et le logisticien nordiste Log's. Vivarte, qui pesait trois milliards d'euros de vente à son firmament n'est plus. Avec la cession du dernier actif en place, la mission de Patrick Puy, arrivé à la tête du groupe en 2016 se conclut, lui qui estimait au printemps dernier sur BFM Business que "les repreneurs de toutes les enseignes que nous avons cédées sont des bons repreneurs. Cela étant, le monde de la distribution est compliqué. Je suis confiant dans l'avenir des enseignes, mais il faudra qu'elles se réinventent".

Réinventer Minelli, c'est en effet l'ambition de Stéphane Collaert. Après avoir repris San Marina il y a deux ans, le dirigeant, spécialiste du retournement d'entreprise qui a par le passé œuvré sur L'Aiglon, Pataugas, Lejaby et Cosmoparis (reprises à l'époque avec Thierry Le Guénic) ou encore Chevignon, affiche de belles ambitions avec ses partenaires. Alors que les deux enseignes de chaussures pesaient 200 millions d'euros de vente lors du dernier exercice, pour FashionNetwork.com, il détaille son plan de route pour devenir un leader de la chaussure en cuir.


Stéphane Collaert



FashionNetwork.com : Après San marina, vous faites l’acquisition toujours auprès de Vivarte de Minelli avec Laurent Portella, qui était DG de San Marina auparavant, et de l'entreprise Log’s. Quelle a été votre réflexion autour de cette acquisition ?

Stéphane Collaert :
Pour nous, l’avantage de Minelli est d’apporter un profil très complémentaire de celui de San Marina. Nous avons d'un côté une pointe de peps et de l’autre coté, nous avons une marque plus luxe accessible, citadine, parisienne et beaucoup plus mode. Ce sont deux positionnements bien distincts s'adressant à deux femmes différentes. L'une plus marquée centre-ville et l’autre s'adressant plus à la province dans les centres commerciaux et galeries marchandes. Nous voulons renforcer ces identités. Et ainsi être en France le leader de la chaussure pour femme en cuir mais être aussi acteur important chez l'homme.

FNW : Cette complémentarité et cette répartition d'activité n'était pas flagrante chez Vivarte...

SC :
Elle n'était pas flagrante, car malheureusement chez Vivarte chaque patron de marque avait une stratégie autonome et avait tendance à batailler avec ses pairs. C'est aussi un de nos atouts. Comme chaque patron était indépendant, il n'y a jamais eu de mise en place de synergie économique entre les sociétés.

FNW : C'est à dire ?

SC :
C'est là que c'est très surprenant. Il n'y a jamais eu d'analyse approfondie comparative des sourcings. Il n'y a jamais eu de négociations communes alors que certains fournisseurs savent faire du luxe comme du plus abordable. Il y a donc un travail d'optimisation de marge à mettre en place et qui est un élément important pour nous dans cette reprise.

FNW : Quel est le montant de cette opération?

SC :
Il n'est pas communiqué.

FNW : Mais par rapport à San Marina, êtes-vous dans le même profil d'opération?

SC :
Non c'est différent. Nous avions repris San Marina dans une période où l'enseigne sortait d'une phase difficile. Il y avait eu des problèmes de positionnement de marque, d'identité et de résultat. Alors que jusqu'au Covid, Minelli était très rentable.

FNW : Et dans cette opération, vous êtes trois partenaires. Quel est le rôle de chacun?

SC :
Laurent Portella et moi sommes les majoritaires. Nous étions associés sur San Marina, sur laquelle nous mettons un certain nombre de politiques communes aux deux marques, c'était normal que nous avancions aussi ensemble dans ce dossier. Et Log's, qui est notre partenaire logistique avec qui nous travaillons sur San Marina et Chevignon, et qui est aussi minoritaire dans les deux sociétés.

FNW : Quel est l'intérêt d'avoir constitué ce trio?

SC :
Pour Log's, cela fiabilise sa clientèle qui voit le potentiel de développement des marques. Et pour nous c'est d'avoir un partenaire qui s'engage à faire de lourds investissements, dont je ne donne pas le montant, au sein de l'outil logistique pour nous permettre d'apporter des solutions ultra-performantes pour répondre aux exigences par rapport au développement de l'e-commerce, de l'omnicanalité et la mise en place de stocks unifiés. Les besoins d'investissements logistiques ont été sous-dimensionnés dans beaucoup d'entreprises du secteur. Pour nous c'est un atout d'avoir Log's au capital en contrepartie de cet investissement dans l'outil logistique.


Boutique Minelli à Paris - FNW



FNW : Il y a encore quelques mois, vous étiez associé à Thierry Le Guénic, avec qui vous aviez racheté plusieurs marques. Quel est le périmètre du groupe aujourd'hui?

SC :
C'est un plus petit groupe à présent puisqu'il y a eu cette séparation entre Thierry Le Guénic et moi-même. Je ne suis plus actionnaire que de San Marina, Minelli, Chevignon et SMC Services. Je suis sorti du capital de Cosmoparis et de Lejaby.

FNW : Mais que s'est-il passé entre vous exactement alors que vous aviez un plan de développement commun il y a quelques années?

SC :
Nous avons procédé à une répartition des sociétés que nous avions reprises ensemble. Cela a soldé nos différends concernant la vision sur les stratégies à mettre en place en période de crise et des plans d'acquisitions qui n'étaient plus partagés.

FNW : Mais cela n'a pas compliqué la mise en place des projets dans les entreprises que vous possédiez ensemble?

SC :
Je dirais que c'est plus le Covid qui a ralenti l'ensemble de l'économie et donc les plans de développement des entreprises. pendant cette période cela a été consommateur de cash par l'absence de chiffre d'affaires et les plans d'investissements et de rénovations de magasins ont été ralentis. Cela entraine aussi des renégociations, comme par exemple des centres commerciaux qui ne vont pas retrouver tout de suite les mêmes niveaux de trafic.

"Il faut juste nous laisser les magasins ouverts"



FNW : Vous parlez du gel de l'activité. Dans les résultats 2019-2020 (clos fin août 2020), les chiffres d'affaires sont en recul, mais les pertes sont aussi conséquentes sur vos trois marques. Comment absorbez-vous ces pertes?

SC :
Dans les bilans des sociétés qui sont publiés en ce moment, il y a aussi eu de manière artificielle un gonflement des pertes par la dépréciation, par mesure de prudence, des valeurs de fonds de commerce. Cela peut représenter une grosse partie des pertes nettes. Pour être clair, pour moi ma véritable perte est sur l'Ebitda, ma consommation de cash. Sur ce point, nous avons reçu sur San Marina et nous allons recevoir sur Minelli, les aides de l'État du dispositif coûts fixes.

Avec San Marina, nous couvrons la consommation de cash de l'exercice par un prêt garanti par l'Etat (PGE), l'aide de l'État et un apport actionnaire. Sur Minelli, c'était le cas avec une injection réalisée par Vivarte précédemment et nous, nous avons remis de l'argent pour l'acquisition, pour qu'elle puisse se redéployer. Dans les deux structures, nous avons un niveau de cash "rattrapé".

FNW : Et de quel ordre est l'enveloppe de financement? Avec quels objectifs pour l'année qui vient?

SC :
Je ne partage pas ces chiffres. Mais j'espère que les mois de fermeture que l'on a subis depuis 2019 sont derrière nous. Le vrai sujet est là. En fait, avec les magasins ouverts, Minelli gagne de l'argent et avec San Marina, sur le dernier semestre avant fermeture, nous gagnions de l'argent. Il faut juste nous laisser les magasins ouverts.


Le concept de boutique San Marina développé l'an passé - San Marina



FNW : Pour revenir sur Minelli. Quels sont les investissements nécessaires pour relancer l'enseigne?

SC :
La force de Minelli c’est son réseau et sa qualité produit très forte. Notre travail va être de revoir le marketing pour mettre en avant ce produit. Le digital est un peu en retard. Ce n'est pas logique que le digital de San Marina soit plus important que celui de Minelli. Nous devons mettre en place les outils indispensables d'omnicanalité, avec des tablettes en magasins et des paniers mixtes. Mais nous ne sommes pas dans une entreprise à restructurer: il y a peu de travail à réaliser sur l'adaptation des points de vente. Ensuite il y a tout le travail de développement à l'international, qui historiquement chez Vivarte n’a jamais été bien approché. 

FNW : Il est annoncé une présence dans 14 pays, mais concrètement quelle est la part d'activité hors de France?

SC :
C'est environ 7% du chiffre d'affaires de Minelli, majoritairement dans les pays limitrophes, Suisse, Belgique, Italie et Allemagne. Mais Minelli n'est pas ce que j'appelle une marque internationale. C'est pourquoi nous sommes en train de mettre en place une direction internationale commune avec San Marina. C'est une priorité pour être opérationnels le plus rapidement possible. Et elle aura pour objectif de trouver des partenaires distributeurs ou master franchisés, partout dans le monde. Et dans certains cas nous pourrons agir avec l'ouverture de succursales.

FNW : De nombreux observateurs ont relevé le manque constant d'investissement de Vivarte dans les marques ces dernières années. Vous avez parlé du marketing et du digital. Mais qu'est-ce qu'il est nécessaire de remettre sur pied quand on reprend San Marina et Minelli?

SC
: Avec San Marina nous avons avancé sur de nombreux points depuis deux ans. Nous allons commencer à déployer les tablettes en magasins pour pouvoir faire du panier mixte, nous venons d'ouvrir le site à l'international avec un plan de déploiement par pays dans les prochains mois. Tout cela, nous allons pouvoir le mettre en place plus rapidement sur Minelli. Et c'est vrai que les équipes techniques et de systèmes d'informations de notre société de services SMC services vont œuvrer pour rattraper des dysfonctionnements du système d’information hérité de Vivarte.


FNW : L'an passé vous avez présenté le nouveau concept de San Marina. Où en êtes-vous de son déploiement?

SC :
Nous reprenons après avoir réalisé une dizaine de magasins. Nous tablons toujours sur cinq à dix remodelages par an avec trois versions: du flagship à la version plus légère.

FNW : Concernant le réseau, de nombreuses marques revoient leur périmètre. L'installation de concepts prend du temps et de l'argent. Est-ce qu'en sortie de crise Covid vous avez réévalué le périmètre?

SC :
Honnêtement, les deux marques n'ont plus de magasins problématiques. Sur un réseau d'une telle taille (470 magasins, ndlr), on peut estimer qu'il y a besoin de bouger ou fermer quatre ou cinq magasins chaque année. Mais c'est à la marge.

"Nous devons pouvoir aller chercher d'ici cinq ans un quart du chiffre d'affaires à l'international"



FNW : Quelle est la place de Chevignon dans cet ensemble? Son activité est retombée à une dizaine de millions d'euros, elle aussi sérieusement dans le rouge l'an passé, des passerelles sont-elles possibles?

SC :
San Marina et Minelli constituent un pôle chaussure. Chevignon est plus autonome. Depuis deux saisons nous avons énormément fait évoluer le produit, en qualité, en zone de sourcing et en écoresponsabilité. Nous avons lancé un nouveau concept de magasins à Val d'Europe et deux boutiques vont être installées à Strasbourg et Nancy. Mais la période de crise nous a amenés à revoir nos coûts à la baisse et malheureusement obligés à mettre en place un plan social qui est en cours de finalisation. Nous avons déjà renégocié des loyers et abaissé certains frais, malgré cela nous n'avons pas le choix, nous devons avoir une équipe plus restreinte pour affronter la période. Mais nous pouvons nous appuyer sur une équipe ultra dynamique et nous avons fait des campagnes de guerrilla marketing dans Paris et eu un spot au cinéma, qui nous ont donné une bonne visibilité sur la rentrée.

FNW : Comment voyez-vous la période et les perspectives sur le dernier trimestre?

SC :
Août a été très compliqué avec très peu de trafic. Nous sommes en positif sur toutes nos enseignes sans être revenus au niveau de 2019. Nous tablons en fait sur une base entre -7% et -10% par rapport à 2019 pour les prochains mois.

FNW : Et en ce qui concerne la rentabilité?

SC :
Pour nous, nous tablons à un retour à la rentabilité sur la fin de notre exercice 2021-2022. C'est ambitieux mais cela prend en compte que l'on ne doit pas nous fermer les magasins cette année.

FNW : C'est ce qui vous amène à afficher vos ambitions de constituer ce groupe leader sur la chaussure cuir en France?

SC :
Et qui peut s'internationaliser! Car sur notre cible et notre positionnement il y a peu d'acteurs en France comme à l'international. En France, vous avez Eram mais qui a un autre positionnement, c'est plus bas. Et à l'international vous allez avoir des acteurs type Aldo, mais il n'y en a pas dix. Si nous travaillons bien, il y la place pour avancer.

FNW : Quelle est votre ambition?

SC :
Cela prendra du temps. Mais nous devons pouvoir aller chercher d'ici cinq ans un quart du chiffre d'affaires à l'international. Et cela s'accompagnera d'une stratégie digital en relais de la mise en place du développement retail.

FNW : Envisagez-vous encore d'autres acquisitions pour renforcer ce groupe?

SC :
Pour l'instant l'objectif est de bien construire cette place sur notre marché. Donc nous sommes déjà bien occupés.

 

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