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Sara Hilden Bengtsson (Open Studio) : "Le client s’épanouit aujourd’hui loin de là où se passe le commerce"

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6 nov. 2018

Sara Hilden Bengtsson possède une solide expérience de la création de marque, notamment au sein du groupe H&M où elle a œuvré à la naissance de l’enseigne pointue & Other Stories. En 2017, elle quitte la firme pour fonder à Stockholm son propre cabinet de conseil à destination des marques (surtout mode, lifestyle et luxe). Nommé Open Studio, il est actif dans les domaines de la communication (identité visuelle, digital…), de l'émergence de nouveaux labels jusqu’à la définition d’un concept boutique. La directrice de création suédoise s’associe aujourd’hui à deux partenaires français pour fonder son bureau parisien : Lionel Massias, qui a œuvré au sein du studio Neville Brody, et Bertrand Thoral, directeur de la communication et de l’image de Vente-Privée de 2007 à 2015, avant de rejoindre Vestiaire Collective à la direction du développement mondial des catégories homme et montres.

De passage à Paris, dans les bureaux de son agence, rue Montmartre, Sara Hilden Bengtsson nous livre sa vision d’une marque de mode par le prisme des nouvelles attentes des consommateurs.


Sara Hilden Bengtsson a travaillé de 2007 à 2016 au sein du groupe H&M, notamment comme directrice de création - Marta Vargas


FashionNetwork.com : Avec votre agence, vous travaillez avec des griffes de différents horizons, d'après vous, les marques de mode remplissent-elles aujourd'hui les attentes des clients ?

Sara Hilden Bengtsson : Non ! Dans l’industrie du retail, les clients attendent beaucoup plus de services que ce que les marques proposent. « Pourquoi ne peut-on pas se faire livrer demain ? Avoir de meilleurs services, davantage d’informations ? » Ce que le digital a débloqué, le consommateur l’exige maintenant. Il a besoin d’être contenté dans l’instant, facilement et librement, car il sait ce qu’il veut et connaît en direct les tendances du moment. Le client s’épanouit aujourd’hui loin de là où se passe le commerce : les entreprises ont besoin de s’activer en ce sens et n’ont plus beaucoup de temps pour le faire.

FNW : A quoi doit donc servir le magasin aujourd’hui ?

SHB : A créer une expérience différente de ce qu’offre le shopping en ligne, sans entrer en compétition avec l’activité digitale. Le premier point, c’est d’imaginer un point de vente lisible et accueillant. Paradoxalement, et cela dépend des marques, certaines ont clairement besoin d’une boutique où l’on puisse passer du temps, boire un café, acheter des fleurs, trouver un livre, partager un moment différenciant dans un environnement plaisant. Les hôtels connaissent aussi ce type de glissement d’usage et deviennent également des lieux de rencontre, de co-working…

FNW : Est-ce que cela induit de développer plus de magasins expérientiels, mais de posséder moins de points de vente au total ?

SHB : Tout à fait. On ne traverse plus toute une ville pour aller faire du shopping le samedi après-midi, ce temps est révolu. Les gens se rendent sur Internet et ont d’autres priorités, familiales, amicales, culturelles... Pour que quelqu’un se déplace, il faut qu’il puisse être surpris et sache qu’il puisse vivre un moment particulier. Je crois aussi à la stratégie d’exploiter de plus petits magasins, mais installés dans des quartiers où les locaux vivent réellement. A différencier des lieux fréquentés par les touristes, où l’offre doit être adaptée en conséquence.


Le nouveau magasin parisien & Other Stories, dans le Marais - & Other Stories


FNW : Vous étiez aux racines de & Other Stories. Comment est née l’idée de lancer ce concept ?

SHB : En 2010, le groupe a mandaté une équipe de cinq personnes dans le but de faire émerger une marque de beauté. Nous y avons vite ajouté le prêt-à-porter et voulu faire s’entrechoquer différentes influences en fondant pour cela un bureau de création à Paris, à Stockholm et à Los Angeles. Il faut bien se dire qu’il n’y avait pas Instagram à l’époque. La première ouverture a eu lieu en 2013 à Londres et & Other Stories possède maintenant près de 80 unités. On a pensé chaque petit détail de la griffe, de la typographie à la musique d’attente au téléphone ! Il est primordial aujourd’hui d’appréhender globalement tous les aspects d’une marque et ce dès le départ.

FNW : Le storytelling autour des marques est devenu essentiel pour exister et survivre ? 

SHB : Bien sûr. Les clients ont envie de tomber amoureux d’une marque, de se sentir hyper connectés à elle. Si je suis très concerné par la durabilité des produits, je vais choisir un label qui pour moi suit ces principes. Il est très important que les gens comprennent ce que fabrique l’entreprise et comment, les valeurs qu’elle véhicule… Et le lien se tisse à partout : sur les réseaux sociaux, devant une vitrine, sur les recommandations d’un ami, via une newsletter… On ne se souvient pas toujours d’où vient l’influence qui nous pousse vers un produit. Les marques doivent communiquer sur chaque parcelle de présence, de façon claire et homogène. Et cela passe, selon moi, davantage par le visuel. Moins de mots et plus d’images : l’impact d’une marque réside aujourd’hui dans ce leitmotiv.


Bertrand Thoral et Lionel Massias, les associés de Sara Hilden Bengtsson à Paris - DR


FNW : Sur quels sujets conseillez-vous aujourd’hui le groupe H&M ?


SHB : Je planche sur beaucoup de projets différents, surtout en ce qui concerne l’expérience en magasin et l’identité de marque. Comme de nombreuses enseignes, le groupe a encore beaucoup de travail à accomplir et c’est ce qui est excitant. J’ai par exemple fait émerger le concept « Take Care » pour H&M : le propos de départ était de trouver une manière concrète et ludique de communiquer sur les actions écoresponsables de la société, signifier qu’il est important de prendre soin de ses vêtements. Et pourquoi pas faire reconnaître l’enseigne pour ses lessives ou ses patchs par exemple ! Ce concept pourrait graduellement se développer au sein du réseau. 

FNW : Aujourd'hui, vous êtes basée en Suède. Mais pourquoi avoir choisi d’installer une antenne de votre agence de conseil à Paris ?

SHB : J’avais déjà travaillé avec Lionel Massias par le passé, à Londres, notamment autour de la direction artistique du Citadium lors de la création du magasin, et pour l’identité visuelle du parfum Flower by Kenzo. Nous avons décidé de collaborer à nouveau et d’ouvrir ce bureau pour bénéficier des atouts de Paris, qui sont différents de l’atmosphère suédoise. On aime tous les trois qualifier cette alliance entre Stockholm et Paris de « logic and love » (logique et amour) : il s’agit d’un mélange, le pragmatisme et la structure scandinave, et le caractère émotionnel et l’héritage créatif de Paris. La capitale française est le berceau des maisons de luxe, quand la Suède a fait naître des marques démocratiques et mondiales comme Ikea et H&M. Cette dualité intéressante nous permettra de poser des regards différents sur les entreprises que l’on conseille. Et ce sur tous les créneaux, côté haut de gamme comme mass market. Parce qu’on ne sait pas quel produit sera le plus excitant demain, tant les marques et enseignes se doivent de changer leur façon de raisonner, ouvrir les yeux sur le futur. Certains acteurs établis ont du mal à penser en dehors du cadre.

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