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15 avr. 2020
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Pas de salons mode en juin, la filière se réorganise

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15 avr. 2020

Le 27 mars, contrainte de constater l’importance de la pandémie de coronavirus, la Fédération de la haute couture et de la mode annonçait que les défilés de la semaine masculine et de la couture ne pourraient avoir lieu. Les autres grandes Fashion Weeks emboitaient le pas à cette communication.


Tranoï


Dans le sillon des événements phares que sont les semaines de défilés, c’est tout un écosystème mode et luxe qui phosphore durant ces périodes. Fort logiquement, les salons professionnels qui se tiennent en parallèle, et attendaient les décisions, ont dû aussi annuler.

"Avec les différents organisateurs de salons nous échangions toutes les semaines et attendions la décision de la fédération. Nous avons appris par la presse que la Fashion Week n’aurait pas lieu, regrette Boris Provost, qui dirige le salon Tranoï. Nous n’avons été ni consultés, ni informés. Pour nous et nos exposants c’était un soulagement de ne plus être dans l’attente."

Les salons parisiens de juin annulés



Les organisateurs des salons Splash, Man, Unique by Mode City, View et Tranoï devant initialement se tenir à Paris du 26 au 28 juin ont décidé de réaliser une communication commune avec les fédérations du prêt-à-porter féminin, de la lingerie et de l’habillement masculin pour annoncer qu'ils n'auraient pas lieu.

"Les marques que nous avons pu joindre ont compris l’annulation, explique de son côté Antoine Floch de Man/Woman, qui voit aussi son salon new-yorkais suspendu étant donné la situation sanitaire aux Etats-Unis. Ils continuent tous leur activité malgré d’importantes difficultés liées au contexte global. Bien sûr cela pose question car la plupart ne peuvent pas présenter une offre complète".


Man, Janvier 2020 - Kaehomma


Les collections du printemps-été 2021 auraient dû être présentées au mois de juin. Mais si tout est à l’arrêt en Europe depuis le mois de mars, la situation est en fait tendu depuis plusieurs mois. "Lors de la dernière Semaine de la mode, en mars, nous avons connu une semaine déjà hyper difficile, rappelle Boris Provost. La fréquentation était très ralentie et le niveau de commandes pas au rendez-vous. Surtout beaucoup de commandes ont depuis été revues à la baisse ou annulées par les détaillants et grands magasins. La plupart des exposants ont livré leurs pièces du printemps-été 2020 mais ne sont toujours pas payés. Il y a une tension de trésorerie sur toute la chaîne. Et, avec un secteur à l’arrêt, beaucoup d’exposants n’avaient pas les collections totalement prêtes pour être présentées en juin."

Au-delà des confinements, c’est ce qui incite les organisateurs européens à annuler ou à repousser leur événements. Il y a quelques jours encore, les acteurs du nord de l’Europe semblaient imaginer pouvoir organiser leur saison. Les présentations, bien sûr, n’auraient attiré que les marques et détaillants locaux étant donné les restrictions de circulation internationales.

A Berlin, Premium et Seek probablement reportés à fin juillet



Mais la pandémie semble affecter à leur tour ces salons. Pour l’heure, en Allemagne le groupe Premium a annoncé être en réflexion concernant ses rendez-vous Premium et Seek qui devaient se tenir fin juin, pour une édition du 28 au 30 juillet. L’équipe d’Anita Tillmann, qui observe l’évolution des mesures prises outre-Rhin, n’a néanmoins pas pour l’instant arrêté de décision.

Au Danemark, les organisateurs de la Fashion Week de Copenhague qui doit se tenir début août avaient il y a quelques jours affirmé le maintien de l’événement. Mais le gouvernement danois a annoncé qu’il allait préciser les modalités pour les rassemblements. Les directions du Ciff, de Revolver, de Dansk Fashion & Textile et de Wear expliquent qu’ils communiqueront conjointement sur une décision dans les prochains jours expliquant être "prêts à modifier (leurs) plans pour la Fashion Week de Copenhague cet été".


Le Seek à Berlin - Seek


En Italie, le Pitti Uomo, incontournable acteur de la mode masculine, avait lui aussi dans un premier temps maintenu son édition de juin à Florence. Mais ses dirigeants, avec une date de déconfinement réel pour le secteur qui reste toujours floue dans la Botte et l’annulation de la Fashion Week de Milan, ont finalement annoncé décaler leur session du 2 au 4 septembre, sur trois jours au lieu de quatre habituellement.

"Il n’est guère possible d’imaginer aujourd’hui quel sera l’état d'esprit des distributeurs et des acheteurs en juin, en pleine période de déconfinement. Il faudra essayer de comprendre à quel moment ils seront disponibles mentalement pour acheter l’été 2021. Il y aura très probablement une dilution de la campagne de ventes jusqu’en septembre, qui deviendra le moment clou de la saison, explique le président de Pitti Immagine, Claudio Marenzi. Nous avons choisi de nous positionner début septembre pour cette raison. De plus, organiser notre session estivale en octobre n’aurait pas eu de sens car trop rapprochée de la session hivernale de janvier."

La question de la pertinence des dates et d’une session physique après l’été pour le masculin semble faire débat. Dans un contexte où nombre de marques travaillent à leur survie, le budget dédié aux salons pourrait ne pas être nécessairement une priorité mais la rencontre physique apparaît aussi nécessaire pour les acteurs.

"La grande majorité de nos contacts nous dit : « Si vous faites quelque chose à la rentrée nous serons là ». Les gens auront besoin de se retrouver et de partager après cette période, estime Antoine Floch. Nous pouvons renforcer la session de Woman et avoir un lieu de plus avec les pavillons Vendôme Cambon et Evreux, comme lors de l’hiver dernier. Ce qui est très positif sur cette période c’est que les liens avec les autres salons fonctionnent bien. Mais nous n’avons pas encore décidé."

Des règles s'appliquant aux rassemblements qui pourraient différer selon les pays



D’autant que tant que les dates et les modalités de déconfinement dans les différents pays ne sont pas connues (en France, le président de la République a annoncé le 13 avril que le déconfinement se fera à compter du 11 mai et qu'il sera progressif, les rassemblements étant quant à eux interdits au moins jusqu'à la mi-juillet, ndlr), il est en effet très compliqué de se projeter.

"On ne sait pas encore quelles seront les modalités pour les événements réunissant plusieurs centaines de personnes. Pourront-ils se tenir ? Et quelles seront les autorisations de circuler ?, avance Hervé Huchet qui devait initier la première session du salon no gender View, au Carreau du Temple en juin, et qui est par ailleurs actif à la fédération de l’habillement masculin. Il y aura vraisemblablement peu d’exposants et de visiteurs internationaux". Cela est d’autant plus incertain pour les salons de début septembre comme le Pitti mais aussi Who’s Next, Maison et Objet et la lingerie à Paris.

Un énorme point d’interrogation avec lequel composent tous les organisateurs pour septembre, alors que circulent déjà des rumeurs sur des modifications du calendrier des Fashion Weeks. "Nous avons deux événements, le Who’s Next début septembre et Première Classe à la fin du mois et début octobre, explique Frédéric Maus. Nous nous sommes organisés avec des équipes travaillant sur différents sujets. Et notamment différents scénarii, allant du pire à la possibilité de tenir normalement tous les événements."

Face à l’incertitude, tous les acteurs acquiescent le fait que les marques doivent trouver des alternatives pour présenter leurs collections. Une piste : la fédération du prêt à porter masculin avait validé, avec un financement du Defi, la création d’une base de contacts d’acheteurs internationaux auxquels seraient envoyées des informations sur les marques. Celle-ci devrait être active pour le mois de juin.


Man - Kaehooma


Mais le recours majeur reste le digital. Certaines marques peuvent s’appuyer sur des showrooms digitaux et d’autres vont accélérer leurs projets en la matière. Même si les collections, avec les difficultés de finaliser les samples, sont plus réduites, présenter une série de pièces permet de garder le contact avec les clients.

Les organisateurs de salons entendent renforcer leur solution d’ici le mois de juin. "Nous réfléchissons depuis un moment au digital, explique Antoine Floch. Il y a déjà des services qui existent, mais nous voulions travailler à une plateforme sur laquelle notre communauté pourrait se retrouver et échanger". Côté Tranoï, la solution digitale devrait passer par des collaborations avec des partenaires, alors que la semaine passée le groupe Premium a annoncé mettre sur pied une solution pour ses exposants avec Joor. De leur côté, les Britanniques de Welcome Edition communiquent sur le lancement de leur Showroom en ligne le 25 juin.

En France, pour répondre aux questions des marques, la Fédération française du prêt-à-porter féminin organise le jeudi 16 avril à 9h45 un webinaire, via son nouveau compte Telegram de la mode, avec les plateformes New Black, Joor et Playologie. Le salon View, imaginé par Hervé Huchet, Caroline Mossot, et Sébastien de Hutten, justement de Playologie, devait être autant physique que digital. La plateforme en ligne pourrait proposer gratuitement une partie de ses services pendant huit mois afin d’apporter une solution commerciale et d'attirer des marques, avant de tenir sa première session non pas à l’automne mais en janvier prochain.

L'incertitude pèse aussi sur les salons de septembre



Car le flou planant sur les éditions de septembre est une épée de Damoclès pour nombre d’organisateurs. Si les relations avec les propriétaires de lieux pouvant accueillir de l’événementiel semblent plutôt fluides, leurs entreprises engagent des frais et des avances pour leurs prestataires… et fragilisent leurs trésoreries.

"C’est notre bébé avec Olivier (Migda). Nous avons créé Man il y a plus de neuf ans, appuie Antoine Floch, et nous avons un modèle bénéficiaire. Cela rythme notre vie professionnelle et personnelle avec pas mal d’investissements. On ne va pas laisser tomber. On dit depuis les débuts que l’on veut rester indépendant. Avec la situation actuelle, on doit réfléchir. Ce qui est important actuellement c’est de pouvoir continuer d’être là pour nos employés, les marques et les détaillants."


Le Pitti Uomo de janvier - AKA studio


Mais, dans un contexte délicat de sortie de crise, les salons devront attirer les acheteurs pour rassurer et soutenir leurs exposants. "Nous devons leur garantir qu’il va y avoir du monde. Nous travaillons collectivement entre salons. Nous pouvons aller plus loin pour faire des choses ensemble. Mais il va falloir que les pouvoirs publics nous aident, estime Boris Provost de Tranoï. Nous allons avoir besoin de soutien de la Mairie de Paris, de la Région et de l’Etat. Ce n’est pas l'organisation d'un dîner ou un cocktail dont nous avons besoin. On se connaît. Il faut être sur une efficience business : faire venir des acheteurs qui découvrent les marques de nos salons."

En Italie, le Pitti Uomo a déjà annoncé que lors sa prochaine édition la ville de Florence serait « friendly » pour ses acheteurs. De quoi s’inspirer de l’accueil à l’italienne ?
 

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