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24 avr. 2020
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Luxe post-Covid-19 : la Chine tiendra-t-elle ses promesses ?

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24 avr. 2020

Placée en quarantaine fin janvier en raison de la pandémie du coronavirus, la Chine a repris progressivement ses activités après un mois et demi de confinement. Alors que l’industrie du luxe a commencé à rouvrir grande part de ses magasins dans ce pays et espère y recueillir un signal de reprise décisif, les premiers retours annoncent un redémarrage entre ombres et lumières, tout en esquissant les contours d’un marché, qui sera fortement différent par rapport à l’avant Covid-19.


L'après-Covid-19 dessine les contours d'une Chine différente - Promise Consulting

 
A l'occasion de la publication des résultats trimestriels des principaux acteurs du luxe, de premières indications prometteuses arrivent de l’empire du Milieu. Le 16 avril, les géants L’Oréal et LVMH ont fait état d’une tendance positive. Entre janvier et mars 2020, le leader mondial des cosmétiques a enregistré une hausse de 6,4 % de ses ventes dans ce pays, qui "montre d'ores et déjà une reprise encourageante de la consommation de produits de beauté", selon le PDG Jean-Paul Agon. De son côté, le directeur financier de LVMH, Jean-Jacques Guiony, a indiqué qu’en avril, pour les marques principales du groupe, à savoir Louis Vuitton, Dior et Sephora, "la reprise a été rapide, avec des taux de croissance de 50 % au 15 avril".

Les ventes record de la boutique d’Hermès à Guangzhou dans la province de Canton, qui a rouvert ses portes après agrandissement début avril, ont atteint un chiffre d'affaires de 2,46 millions d’euros au premier jour d’ouverture. Ce qui n'a pas manqué de susciter un grand espoir. Reste que ces chiffres, publiés par le magazine américain WWD, n’ont pas été confirmés par la maison, qui n’a pas donné suite à nos demandes. Et pourraient bien cacher une situation plus incertaine.

En commentant les résultats trimestriels d'Hermès le 23 avril, le gérant du sellier, Axel Dumas, a confirmé "une tendance positive en Chine continentale, avec une croissance à deux chiffres" depuis la réouverture progressive en mars de ses onze magasins fermés dès fin janvier. En revanche, les boutiques de Hong Kong et de Macao "ont retrouvé un trafic réduit, en raison des mesures de contrôle de frontières", indique la marque dans un communiqué, tout en précisant que "plusieurs pays de la zone connaissent une seconde vague de fermetures de magasins en application des mesures gouvernementales, notamment à Singapour, en Australie et en Thaïlande depuis début avril".

Amélioration de la situation commerciale



Quelques jours plus tôt, le 21 avril, le directeur financier du groupe Kering, Jean-Marc Duplaix a évoqué également un contexte compliqué : "Il est difficile d’avoir une vision d’ensemble, car la situation est toujours très contrastée d'une ville à l'autre. Il y a encore des contrôles restrictifs, par exemple à Pékin, qui est bien sûr une ville importante pour notre entreprise. Globalement, nous avons constaté une amélioration des ventes dans de nombreuses villes, principalement dans les parties sud et est du pays, et cela commence également à se matérialiser dans les parties ouest et nord, malgré des tendances plus contrastées."

"Nos boutiques pourraient enregistrer dans certaines villes une croissance à deux chiffres de leurs ventes par rapport à l'année dernière", avance-t-il. La griffe a aussi enregistré une accélération de son commerce en ligne, dont les ventes ont enregistré des hausses à trois chiffres en février dans ce pays, devenu son deuxième débouché online après les États-Unis.

Ce tableau d’une reprise en Chine en demi-teinte transparaît également à travers le baromètre "#Covid-19 : Tracking the Rebound" réalisé par la société de conseil Promise Consulting avec l’institut d’études marketing Panel On The Web et AllianceBernstein. Cette dernière a interrogé 600 chinois entre les 26 et 29 mars, puis à nouveau du 6 au 10 avril, afin d’établir un indice de rebond des activités en Chine. "Si les Chinois semblent désireux de reprendre progressivement une activité économique, culturelle et sociale, les obstacles demeurent nombreux, et la possibilité d’un scénario noir est toujours possible", préviennent les auteurs de l’étude.


L'indice de rebond des activités en Chine avec les achats de luxe dans la dernière colonne - Promise Consulting


"Il y a une évolution plutôt positive en ce qui concerne les activités primaires ou secondaires, comme aller au restaurant, dans des centres commerciaux et s’acheter des vêtements. Les Chinois interrogés sont de plus en plus nombreux à penser que la situation va se normaliser pour ce qui touche les déplacements locaux", nous explique Philippe Jourdan, le CEO de Promise Consulting. "En revanche, ils ne voient pas de retour à la normale concernant les déplacements à l'intérieur et l'extérieur du pays. Dans ce contexte, les achats de produits de luxe sont les activités qui se profilent comme les dernières destinées à redémarrer", poursuit-il.

"Le secteur du luxe montre des signes de reprise plus modérés, et inférieurs à la moyenne : alors qu’il figure au 7ème rang des secteurs ayant subi le plus fort ralentissement (mais il est vrai qu’un grand nombre de secteurs sont ralentis dans des proportions similaires), il ne figure qu’au 7ème rang des secteurs pour lesquels les Chinois anticipent un retour à la normale, en ce qui les concerne", indique l’étude.

La baisse de la croissance économique en Chine (le produit intérieur brut a chuté de 6,8 % en rythme annuel sur la période janvier-mars) va certainement s’accompagner d’une contraction de la consommation, y compris chez les Chinois les plus aisés, qui "pourraient comprimer à leur tour leurs dépenses dans le luxe face à une perspective de croissance ralentie", selon Philippe Jourdan.

Consommation locale en Chine continentale



Il ne faut pas oublier par ailleurs que la majorité des achats de produits de luxe par les Chinois s’effectue lors de déplacements touristiques, en dehors de leurs frontières. "Il y a une réelle incertitude sur la reprise des voyages en-dehors du pays et ces limitations de déplacements sont appelées à durer, donc cela va peser forcément sur les ventes de produits de luxe. Par ailleurs, comme toujours en Chine, ce sont les pouvoirs publics qui décident des priorités de consommation. Les achats de luxe sont considérés comme des sorties de devises. L’importance donnée aux achats en Chine et de préférence aux marques chinoises va s’accentuer", note encore l'expert.

Une tendance soulignée dans le baromètre de Promise Consulting : "Sans anticiper sur les décisions des autorités chinoises dans les mois qui viennent, un scénario est probable : une volonté déjà forte avant la pandémie de diminuer la dépendance économique de la Chine vis-à-vis du monde extérieur. Les Chinois voudront davantage encore se réapproprier leur espace de consommation".

Un scénario confirmé par le directeur financier Jean-Marc Duplaix lors de la téléconférences avec les analystes du 21 avril: "La conviction que nous avons chez Kering, c’est que certaines tendances, qui se manifestaient déjà au cours des derniers trimestres, se confirmeront et seront amplifiées dans une certaine mesure. La tendance au rapatriement des achats sur le marché intérieur en Chine est évidente. Par exemple, Shenzhen est une ville qui profite beaucoup de ce rapatriement, et je pense que là aussi il y aura de plus en plus de consommation locale. Cela nous poussera donc à reconsidérer notre réseau de villes. Il est bien sûr trop tôt à ce stade pour donner des précisions, mais cela entraînera clairement un remaniement de la distribution."

Ce nouveau contexte dans l’empire du Milieu devrait amener d’autres maisons du luxe à repenser leur stratégie sur ce marché stratégique. Comme le suggère Philippe Jourdan, les marques qui voudront faire des affaires en Chine auront intérêt à "considérer une distribution directe dans ce pays avec une offre dotée de tarifs identiques par rapport aux prix qu’elles pratiquent en Europe ou ailleurs, tout en envisageant, à terme, une partie de la production dans ce pays".

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