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13 oct. 2022
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Luxe et collabs, comment se positionner en termes de prix et d’offre?

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13 oct. 2022

Les collaborations sont devenues en quelques années un outil indispensable aux maisons pour faire parler d’elles, booster leurs ventes et élargir leur audience, surtout vers les consommateurs les plus jeunes. Au fil du temps, elles ont appris à mieux choisir leurs partenariats, tout en développant une stratégie articulée en termes d’offre et de prix, selon les marchés et les clients ciblés. A travers une étude sur les dernières collabs à succès (Fendace, Gucci avec The North Face et Louis Vuitton X NBA), Retviews by Lectra permet de comprendre quelques-unes des dynamiques mises en place par l’industrie.


Kim Jones et Donatella Versace, au centre, lors du défilé Fendace à Milan - Fendi - Versace


 
"Le dernier rapport Lyst Index prouve à quel point les collabs sont essentielles pour les maisons de mode, car bon nombre des produits les plus en vogue du trimestre font partie des collaborations entre marques et ont eu un rôle de force motrice dans la popularité des labels", rapporte l’expert en analyses de données, qui rappelle que ce type de partenariat temporaire permet aux griffes "de rafraîchir leur offre en explorant des territoires parfois éloignés de leur style et gamme habituelle". Cela crée surtout un intérêt médiatique autour de la marque entre les pics des saisons, tout en stimulant la demande grâce au concept de la capsule en édition limitée.
 
Si le choix du partenaire est primordial, la manière dont va être construite cette collection à quatre mains et son positionnement prix sont tout aussi importants. Ainsi dans le cas du rapprochement entre Fendi et Versace, deux maisons de luxe aux styles différents -la première appartenant à LVMH, la deuxième au groupe américain Capri holdings-, mais ciblant le même type de clientèle haut de gamme et fashion, une grande attention a été portée à la gamme proposée.

Les deux griffes italiennes ont proposé deux collections interprétant chacune l’esthétique de chaque maison d’un nouveau point de vue: Versace by Fendi avec de riches tenues jouant sur le double F du monogramme Fendi et l’emblématique motif de la clé grecque de Versace, et Fendi by Versace avec mini-robes et micro jupes revisitées dans le style rock et punk de Versace.
 
Seulement, à y regarder de plus près, l’offre de "Fendace", dévoilée en septembre 2021 et commercialisée en mai 2022, a été ultérieurement segmentée, probablement pour éviter l’effet de "cannibalisation" entre les deux partenaires. D’une part, la ligne de Fendi a été surtout axée sur des produits masculins, représentant 71% de son assortiment contre 39% pour la ligne de Versace. D’autre part, cette dernière offre un plus large éventail de catégories.
 
Retviews a noté, en effet, qu’au sein de Fendace, la ligne Versace propose en plus, par rapport à Fendi, des robes et des pièces outerwear. De même, son offre en chaussures est plus diversifiée. Pour sa part, la maison romaine met l’accent sur les accessoires et la maroquinerie, représentant respectivement 40% et 18% de son assortiment, contre 31% et 14% pour Versace. Une ultérieure segmentation est opérée au sein des catégories, Fendi se concentrant par exemple sur les lunettes, qui représentent 36% de son assortiment en accessoires, tandis que ce sont les bijoux à être mis en avant chez Versace (52% de ses accessoires).


Les produits Fendace coûtent plus du double - Retviews by Lectra

 

Pour ce qui est des prix, le positionnement des deux lignes était similaire en Europe et aux États-Unis. En Chine, en revanche, 81% des produits de Fendi vue par Versace était plus élevés, ainsi que 13% des articles Versace par Fendi. La forte demande en termes de collabs entre marques de la part de la Gen Z chinoise explique cette stratégie. Et les deux griffes n'ont pas hésité à commercialiser les produits de Fendace avec des prix beaucoup plus élevés que ceux de leur collection normale.
 
Dans le cas de la collaboration entre Gucci, marque star du groupe Kering, avec la marque d’outerwear The North Face, ou de celle entre Louis Vuitton et la NBA (National Basketball Association), la démarche est différente. Il ne s’agit plus d’un jeu d’échanges entre deux grands noms du luxe, comme pour Fendi et Versace ou comme l’ont fait aussi Gucci et Balenciaga auparavant, mais du rapprochement entre deux mondes différents, avec néanmoins des valeurs communes.
 
Là encore, les stratégies peuvent s’opposer d’une marque à l’autre, même si la typologie de la collaboration (griffe+marque de sport) est similaire. Pour Gucci et The North Face, la mixité en termes de produits apparaît équilibrée aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Italie, alors que l’accent est mis sur la mode masculine en Chine et au Japon. La collaboration propose notamment des hauts, représentant 38% de l’assortiment, avec une dominante de pièces à manches courtes et de sweaters, et des vêtements d’extérieur (31%) avec la doudoune en tête. 
 
Ce sont en revanche les accessoires et la maroquinerie, qui prennent le dessus dans la collaboration de Louis Vuitton avec la NBA, la griffe vedette de LVMH devant en quelques sortes s’aligner au style de vie d’un joueur de basket de la NBA, les hauts arrivant en troisième position. La maroquinerie notamment, qui représente la deuxième catégorie la plus importante de l’assortiment (24%) se focalise surtout sur les portefeuilles et des sacs de voyage.
 
Concernant les prix, approches et logiques différent là aussi. Les données de Retviews montrent que dans toutes les catégories de la collaboration de Gucci avec The North Face, le prix est légèrement inférieur à ceux pratiqués habituellement par Gucci pour ses collections. Le gilet en duvet aussi est moins cher. Avec des prix d’entrée plus accessibles que les siens, la maison de luxe de Kering arrive ainsi à toucher un public plus large.
 

les différences de prix entre les articles courants de Gucci et ceux issus de la collaboration avec The North Face - Retviews by Lectra


 
Néanmoins, certains prix restent très élevés. Les tarifs les plus élevés de Gucci X The North Face, par exemple celui de la parka, se situent 13% au-dessus par rapport aux prix habituels de la maison italienne. De cette manière, elle peut jouer sur les deux tableaux, séduisant les consommateurs aisés, surtout en Asie, avides de nouveautés et d’exclusivités via cette offre unique à édition limitée, tout en captant l’attention de nouveaux clients, qui ne seraient pas forcément venus vers elle. A l’inverse, avec cette montée en gamme, The North Face valorise son image, captant également de nouveaux clients.
 
L’on voit bien qu’hormis ces quelques pièces plus chères, Gucci ne suit pas la logique habituelle des collabs, où les prix sont généralement plus élevés que dans les collections traditionnelles des maisons. A l’inverse, Louis Vuitton s’inscrit dans la norme avec un prix moyen un peu plus élevé dans toutes les catégories de la collection Louis Vuitton x NBA. Seule exception, les accessoires et les tops, catégories où habituellement l’offre de Louis Vuitton est plus ample avec par exemple des montres très chères, ce qui modifie la base de comparaison.
 
Comme le démontre cette étude de Retviews, au-delà des partenaires qu’elles doivent choisir de manière ciblée, les maisons de luxe doivent réfléchir aussi au juste équilibre à établir en termes de prix et d’assortiment lorsqu’elles se lancent dans une collaboration.

Elles devraient veiller aussi à ne pas abuser de la formule, tel que le rappelle le livre "Le luxe de demain, les nouvelles règles du jeu" d’Yves Hanania, Isabelle Musnik et Philippe Gaillochet. Si les collabs permettent aux griffes "de bénéficier d’une exposition médiatique accrue, d’atteindre une autre clientèle, de proposer de nouveaux produits ou de tester de nouveaux modèles économiques, mais également de dynamiser leur image", il y a un risque: "affaiblir la désirabilité d’une maison prestigieuse quand cette dernière, devenue marque, est alors (sur)exposée", prévient l’ouvrage. 

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