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Clémentine Martin
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20 nov. 2019
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Lisbonne, capitale verte de la mode

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Clémentine Martin
Publié le
20 nov. 2019

« Cela fait déjà bien trop longtemps que nous vivons dans une économie linéaire », dénonce sans sourciller l’actrice et auteure portugaise Joana Barrios. Une déclaration d’intention qui donne le ton de la dernière édition en octobre des "Fast Talks" de ModaLisboa, qui prétendent analyser l’impact de l’industrie de la mode sur la planète. La société portugaise oscille entre une confiance renouvelée à son Premier Ministre António Costa ce mois-ci, malgré une abstention record de 45,5 %, et la pression que représente pour la capitale du pays ce titre de « Capitale verte de l’Europe 2020 ». Historiquement remporté par des villes d’Europe du Nord, le prix revient à la péninsule ibérique huit ans après avoir été décerné à Vitoria-Gasteiz en 2012.


La ville portugaise est couronnée «Capitale verte de l’Europe 2020» - Shutterstock


Bien consciente de la responsabilité que représente ce titre, la présidente de l’Association ModaLisboa Eduarda Abbondanza souligne l’importance pour Lisbonne de générer des conversations autour du développement durable. Et en tant qu’hôtesse de l’événement, elle invite les participants à découvrir le marché de Santa Clara, au cœur du quartier historique d’Alfama, l’ancien bastion des pêcheurs. « C’est l’une des caractéristiques fortes de ModaLisboa : faire découvrir de nouveaux recoins de la ville ».
 

Le pouvoir de l’éducation et des nouvelles générations


 
Derrière Eduarda Abbondanza, se dresse un espace industriel aux lumières vertes décoré de palmiers où se trouvent les cinq intervenants de cette table ronde. Complètement à droite, siège l’entrepreneur Alfredo Orobio. Vêtu d’une chemise blanche classique et de baskets de la marque française durable Veja, ce créateur brésilien âgé de 30 ans est l’une des voix les plus écoutées de la scène durable portugaise. Il a lancé la plateforme collective de design Awaytomars en 2014, qui rassemble aujourd’hui plus de 15 000 créateurs de 93 pays différents.
 
« Le mouvement de la fast-fashion est étroitement lié à notre génération, toujours occupée. Nous sommes ceux qui ont inventé l’idée de consommation de masse. Maintenant, il va falloir changer de mentalité », assène-t-il, regrettant que la société ait permis à la grande distribution d’aller aussi loin. Mais cette évolution de l’état d’esprit ne sera possible que via la communication et l’information. Et l’éducation commence déjà selon lui à porter ses fruits. « Je pense que les gens prennent de plus en plus conscience des différences entre un produit standard et un produit durable. Nous devons arriver à susciter de l’empathie en racontant ce qui se passe, comme nous l’avons fait pour arriver à éliminer les pailles en plastique de notre quotidien », explique-t-il en citant cet exemple de décision permettant le changement. Il conclut : « La clé, c’est d’éduquer les consommateurs et les dirigeants d’entreprises ».


De gauche à droite: Eva Geraldine Fontanelli (Goooders), Carolina Álvarez-Oscorio (Ecoalf), Joana Barrios, Patrick Duffy (Global Fashion Exchange) et Alfredo Orobio (Awaytomars) - ModaLisboa


Mais selon Carolina Álvarez-Osorio, la question générationnelle est aussi fondamentale. La directrice communication de la marque durable espagnole Ecoalf affirme : « Nous avons besoin de nouvelles générations de créateurs et d’artistes qui assument leurs responsabilités. Menées par des jeunes comme Greta Thunberg, les nouvelles générations invitent au changement. En tant que consommateurs, nous devons continuer à pousser les grandes entreprises vers ce chemin », martèle-t-elle. Même son tee-shirt affirme ce besoin urgent de transformation, avec le message d’Ecoalf : « Because there is no planet B ». Fondée en 2009, l’entreprise prend parti pour le développement durable à travers la fabrication de produits à base de matériaux recyclés. Elle est aussi à l’origine du projet « Upcycling the oceans », qui a pour objectif de nettoyer les fonds marins avec l’aide de pêcheurs.
 
Et comme ils le soulignent tous les deux, que ce soit à travers l’empathie ou des projets collectifs, les clients doivent absolument être impliqués et participer à la diffusion du message. « L’action la plus positive que nous pouvons mener est d’ouvrir le chemin. Nous n’allons pas sauver le monde ici et maintenant, mais nous pouvons au moins inciter les gens à le faire progressivement », reconnaît le PDG d’Awaytomars, chargé d'optimisme.
 

Qui sont les responsables ?

Joana Barrios n’hésite pas à se montrer plus critique. Selon elle, il est essentiel de « parler la langue » des consommateurs. « Je pense que la responsabilité environnementale est, d’une certaine manière, quelque chose d’aussi exclusif que la programmation informatique. Beaucoup de gens se sentent laissés de côté. Pour commencer, ils ne savent pas lire et comprendre les étiquettes. Sans même parler des certifications, qui sont encore beaucoup plus complexes », explique-t-elle. Elle prend résolument la défense des consommateurs et rejette la responsabilité sur les entreprises et les marques. « Je pense qu’il y a parfois trop de pression sur les clients », insiste-t-elle.
 
Ce client qu’il est essentiel de convaincre. Carolina Álvarez-Osorio invoque le « story-doing » des projets concrets d’Ecoalf comme antidote au « storytelling » vide traditionnel. Mais Eva Geraldine Fontanelli, rédactrice de Vanity Fair Italia et cofondatrice de la plateforme de e-commerce spécialisée dans les marques durables Goooders, souligne l’importance d’un discours bien huilé. Également consultante dans le secteur, elle argue qu’il est essentiel de concevoir des produits « jolis, riches de sens et rentables ».


À travers le projet «Upcycling the oceans», Ecoalf travaille avec des pêcheurs pour nettoyer les fonds marins - Ecoalf


« Au final, l’esthétique et le design sont essentiels pour provoquer la décision d’achat. ‘Good is the new cool’ est un message important à transmettre aux marques », explique la consultante italienne.
Les grandes multinationales en sont bien conscientes, mais leurs initiatives sont immédiatement remises en question par Patrick Duffy, fondateur de la plateforme Global Fashion Exchange. « La transparence des grands groupes de fast-fashion est questionnable. C’est une manœuvre marketing : ils créent de petites collections durables qu’ils présentent comme une grande part de leur activité. C’est ce que l’on appelle du green washing », analyse-t-il avec amertume.
 
Face à cette problématique, la représentante d’Ecoalf voit la transparence et la traçabilité comme deux axes essentiels pour les prochaines années. La marque espagnole peut se targuer d’être la première à recevoir la certification B Corporation. Après avoir rappelé que la fondation Ellen MacArthur estime qu’il y aura plus de plastique que de poissons dans la mer d’ici 2050, Carolina Álvarez-Osorio conclut sans vaciller : « Ne pas chercher de solutions, c’est faire partie du problème. »

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