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5 oct. 2018
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Les nouvelles tendances du commerce en débat à Paris

Publié le
5 oct. 2018

Organisée par le fonds Experienced Capital Partners avec le cabinet du secrétaire d'Etat et porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux, une table ronde sur le commerce avait lieu mardi 2 octobre à Paris, en petit comité, dans les locaux de l'actionnaire de Jimmy Fairly, Sessùn, Le Slip Français ou encore Maison Standards. Objectif : créer un échange sur les nouveaux modèles de commerce entre des chefs d’entreprise et le secrétaire d’Etat. Etaient invités à prendre la parole, Frédéric Biousse, cofondateur d’Experienced Capital, Guillaume Gibault du Slip Français, Victor Lugger de Big Mamma et Nicolas Houzé des Galeries Lafayette. Un échange qui a tourné autour des nouveaux modèles de croissance dans la mode, des atouts de jeunes entrepreneurs, mais aussi de la mutation d’entreprise, à l'image de l'enseigne de grands magasins séculaire Galeries Lafayette.
 

De gauche à droite, Karine Vergniol (BFMBusiness) animait le débat entre Frédéric Biousse, Benjamin Griveaux, Nicolas Houzé, Victor Lugger et Guillaume Gibault - Experienced Capital


Le mot clé prononcé à de nombreuses reprises par les participants a été celui de l’expérience, grand motto actuel du retail. « Le magasin change beaucoup actuellement et sa fonction avec. Aujourd’hui le consommateur a changé, notamment avec l’influence du digital. Nous sommes passés à une ère de l’usage et plus de la possession. C’est l’usage qui génère le plaisir, plus l’achat. Des modèles comme Panoply, qui permettent à une femme de porter plusieurs robes dans l’année plutôt que d’en acheter une qu’elle mettra trois fois pour le même prix, répondent à ce besoin », a ainsi estimé Frédéric Biousse.
 
Et l’ancien dirigeant de SMCP d’ajouter que, selon lui, la montée en puissance du digital a « contraint les marques à bâtir un nouveau lieu, une vraie relation client, alors que c’était inexistant auparavant ». Le retour à la relation, un point clairement mis en avant par Victor Lugger, cofondateur du groupe de restauration à succès Big Mamma. « Notre concept c’est qu’il n’y a pas de concept, on n’a rien disrupté du tout en réalité. Très simplement, on veut juste offrir aux clients leur meilleur moment de la journée, le plus agréable. D’ailleurs, dans la restauration en tout cas, cela change même les règles du retail : ce n’est plus l’emplacement qui compte, si l’expérience est vraiment bonne on viendra à vous ». Un retour aux fondamentaux de ce que signifie être commerçant, finalement, plutôt qu’une révolution.

Selon les intervenants de cette table ronde, les réussites actuelles interviennent lorsque se rencontrent la quête de sens du consommateur et celle de l’entrepreneur. Les nouveaux chefs d’entreprise ont changé et la nouvelle génération incarne volontiers sa marque. « Je ressens chez la nouvelle vague d’entrepreneurs cette question du sens de ce que l’on fait, à l’image d’un Régis Pennel, polytechnicien, qui a lancé L’Exception », cite le secrétaire d’Etat Benjamin Griveaux.
 
Un fort contingent d'anciens d'HEC dans la nouvelle génération d'entrepreneurs

Une nouvelle génération de commerçants qui n'est peut-être pas vraiment représentative de la diversité de la société. Interrogé sur l’omniprésence des représentants d’HEC, notamment, parmi les nouveaux créateurs d’entreprise, Frédéric Biousse estime que l’affirmation n’est pas tout à fait exacte, mais tout de même. « Il y a de grands entrepreneurs qui sont des autodidactes, qui ont ça dans la peau. Mais il est vrai que les nouveaux élèves d’HEC ont une force dans ce contexte de mutation : ils ont  compris qu’il ne fallait pas tout attendre des grands groupes, que les grands groupes, LVMH et tous les autres, finiront toujours par vous planter. Alors ils ont tous cette envie de faire leur histoire. Et les grandes écoles donnent une vitesse initiale, un discours crédible d’emblée. C’est important dans un contexte où le pays aide peu, et encore moins les banques qui ne prêtent de plus en plus qu’aux riches », ajoute-t-il.
 
Le groupe Galeries Lafayette lui, bien loin d’être une start-up, trouve néanmoins matière à réflexion dans l’état d’esprit des nouveaux jeunes chefs d’entreprise. « Nous avons clairement adopté une démarche entrepreneuriale pour monter le projet du futur magasin des Champs-Elysées (attendu pour mars 2019, ndlr). Parce que le format dix fois plus petit qu’à Haussmann nous obligeait à penser différemment, on en a fait une force et on a choisi de monter une équipe entièrement nouvelle. Ces vingt personnes doivent proposer quelque chose d’inédit pour nous », explique Nicolas Houzé, le directeur général de l’enseigne.
 
Pour ce magasin des Champs-Elysées, l’ambition du groupe est donc de raconter une toute nouvelle histoire. Mais dans son navire amiral, les choses bougent également, comme l’a démontré la dernière initiative 'Go for Good'. Car l’une des autres tendances du commerce, évoquées lors de cette table ronde, est celle de la rencontre avec le consommateur sur le terrain des valeurs. « Si la mode n’est par définition pas durable car elle appelle à un renouvellement permanent, nous avons voulu mettre en avant différents produits et marques qui, chacun à leur manière, sont plus responsables, et s’inscrire dans le temps en gardant l’étiquetage Go for Good. Et surtout cela a du sens parce que c’est un projet qui a véritablement mobilisé tout le monde en interne, notamment la jeune génération de nos acheteurs qui y est très attachée », explique Nicolas Houzé.
 
Créer du lien autour de valeurs partagées

Faire se rencontrer l’envie du consommateur et celle de l’entreprise de retrouver du sens, c’est le début de la construction d’une communauté, estime Guillaume Gibault, fondateur du Slip Français. « Quand vous lancez une marque qui relève des 'digitally native vertical brands' (marque née sur la Toile avec un modèle de commerce vertical et plaçant l'expérience client au coeur de sa stratégie, ndlr) comme on dit vulgairement, le premier but c’est d’amener les gens sur votre site, et pour cela il faut raconter une histoire », estime-t-il. « L’histoire qu’on a voulu raconter c’est celle de la fabrication française, de la verticalité de notre business model. Aujourd’hui, qui peut diffuser des images de sa chaîne de production en Facebook Live dans l’industrie de la mode ? Nous sommes fiers de pouvoir le faire. Même si évidemment la réalité du terrain est compliquée pour la fabrication française. Si on se sert bien du digital aujourd’hui, et des possibilités de vente directe et donc de marge que cela offre, alors il devient l’allié pour faciliter les choses », ajoute le dirigeant.
 

Et Benjamin Griveaux de voir là une raison d’être optimiste, rappelant que l’année 2017 a été la toute première à revoir des créations d’emplois dans l’industrie textile. Mais dans l’assemblée, le dirigeant de Maison Lejaby, Jean d’Arthuys, tempère : « Je vais peut-être casser l’ambiance et cette euphorie, mais il faut rester lucide. Aujourd’hui nous avons réussi, en changeant tout et en relançant la marque, à garder 150 couturières en France, mais enfin elles étaient plus de mille autrefois ! Elles gagnent péniblement 1 500 euros par mois, nous en payons 3 000, la réalité du marché est terrible au regard de ce qui se pratique ailleurs dans le monde », estime-t-il.
 
« On ne pourra jamais s’aligner avec le Maghreb par exemple, tranche le secrétaire d’Etat. C’est une course qui mettrait à mal le contrat social. Mais il y a des solutions. Je pense par exemple à un atelier de dentelières que j’ai connu à Grenoble, qui s’est reconverti avec succès dans la prothèse dentaire ».
 
Guillaume Gibault lui estime que la bataille n’est pas tout à fait perdue. « On peut encore avoir une fabrication française, mais plus sous le format qu’on a connu. On peut préserver un peu le tissu avec des des petites séries et des modèles de business différents, basés sur la distribution directe au consommateur et l’innovation. On peut se dire que si l’on invente les premiers la machine du futur, on pourra être concurrentiel », espère-t-il.  

La crise des enseignes de mode françaises en question
 

Si l’on a donc parlé du « nouveau commerce » lors de cet échange, planait évidemment au-dessus de celui-ci, en creux, le sort actuel de « l’ancien commerce ». Interrogé sur les annonces de plans sociaux et de fermetures qui touchent la distribution mode en particulier, le porte-parole du gouvernement a naturellement concédé que « certains secteurs sont durement frappés, certains territoires aussi, comme les villes petites et moyennes. L’effort du gouvernement pour contrer cela porte sur la compétitivité des entreprises, la baisse des charges notamment, le CICE… Favoriser la baisse du coût du travail », a-t-il martelé.
 
Mais pour Victor Lugger, de Big Mamma, là n’est pas forcément le problème. « Je vais m’inscrire en faux, mais pour nous, payer des impôts et des charges, ça n’est pas ce qui nous dérange, au contraire ! Il ne faut pas se prendre pour Londres… Quand j’y vais, je suis effaré par deux choses : les vraies difficultés d’entreprendre pour la moindre question administrative, alors qu’on idéalise Londres là-dessus, mais aussi et surtout la misère et les difficultés sociales des salariés ».  Il aurait en effet été dommage de parler de l’avenir du commerce sans parler de pouvoir d’achat.
 
Revenant sur le sort actuel des enseignes de mode françaises, « bousculées depuis quinze ans par la fast-fashion, ce dont elles ne se sont jamais remises », selon ses termes, Frédéric Biousse a estimé qu’il s’agit surtout « de mauvaises décisions des dirigeants et d'actionnaires qui ont raté le coche. On ne peut pas maintenir un secteur sous perfusion. Mais je ne suis pas inquiet pour les salariés pour autant », a-t-il estimé pour commenter les plans sociaux récents, « le commerce existe et existera encore. Les modèles changent certes mais si l’on s’y adapte, on retrouve sa place », a-t-il estimé.  
 

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