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Clémentine Martin
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8 mai 2022
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Les montres contemporaines de luxe déchaînent les passions

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Clémentine Martin
Publié le
8 mai 2022

Peu d’articles de prestige ont suscité autant de spéculation ces dernières années que les montres, qu’elles soient neuves ou d’occasion. L’un des bastions par excellence du luxe traditionnel.
 

Courtesy of Dreyfuss Mayet


Les montres de luxe sont maintenant perçues comme d’intéressantes niches d’investissement, contrairement aux bijoux, qui perdent de la valeur dès qu’ils quittent la boutique. Actuellement, les riches propriétaires possèdent tant d’actifs et d’actions qu’ils ressentent le besoin de se diversifier et investissent le champ des montres. Mais ce n’est pas tout: les fonds spéculatifs, les gestionnaires de patrimoine et les banques privées suisses se sont à leur tour mis à acquérir des montres, un phénomène inimaginable il y a seulement cinq ans.
 
Watchfinder.com reste la référence des montres d’occasion, mais plusieurs entreprises indépendantes ont aussi réussi à tirer leur épingle du jeu. Les spécialistes européens de Dreyfuss Mayet se sont fait connaître par le bouche-à-oreille, tandis que la boutique European Watch Company, à Boston, fait figure d’icône. Le magazine pour homme The Rake, dirigé par son rédacteur en chef Wei Koh, loquace et citadin, fait aussi partie de la nimbe d’experts qui ont su repérer ce marché porteur.

L’exemple le plus emblématique est peut-être celui de Dreyfuss Mayet, un e-commerçant de niche qui cible le luxe le plus exclusif.
 
Avec un siège social en Suisse, le site de Dreyfuss Mayet a installé ses bureaux dans la station de ski de Verbier, ce qui laisse imaginer son public cible. Fondé par Victor Dreyfuss et Camille Mayet, deux dandys épris de montres, il se spécialise dans l’achat-revente de montres neuves ou presque neuves, positionnées sur le segment le plus prestigieux de l’horlogerie de luxe contemporaine.
 
Les chiffres de Dreyfuss Mayet prouvent bien le potentiel de ce marché émergent, mais déjà bouillonnant: depuis son lancement, Dreyfuss Mayet SA a vendu plus de 1.500 montres dans le monde entier, via le site Chrono 24 ou "en main propre" à des clients très particuliers.


Courtesy of Dreyfuss Mayet


La majeure partie du chiffre d’affaires de la société est générée par le trio de tête des montres de luxe: Audemars Piguet, Rolex et Patek Philippe. Les deux associés ont récemment vendu une Audemars Piguet Royal Oak Perpetual Calendar Skelet Ceramic 26585CE pour 700.000 dollars, leur meilleure vente à ce jour.
 
Ils se sont rencontrés il y a douze ans, lorsque Victor Dreyfuss faisait ses études à l’école de commerce européenne de Paris, tandis que Camille Mayet posait les jalons de son premier projet, Autodidact, dédié à la vente de voitures de luxe. Ils se sont associés pour représenter des marques de pointe comme Porsche, Ferrari, Bentley et Audi, avant de réaliser que les montres de luxe se vendaient parfois bien plus cher que des voitures. Coïncidence: ils sont tous deux passionnés de montres.

Des montres plus coûteuses que des voitures de luxe


 
"La voiture la plus chère que j’ai vendue était une Lamborghini Aventador, pour 500.000 dollars. C’est moins que le prix de nos plus belles montres", pointe Camille Mayet.
 
Les deux collectionneurs ont commencé par acheter et vendre à leurs amis, en privé, puis ont fondé leur entreprise de voitures et de montres avant de se concentrer uniquement sur les montres.
 
"Sincèrement, les montres sont plus faciles à stocker, plus chères et plus tendance", résume Victor Dreyfuss.
 
Mais après avoir réussi à construire un réel réseau de clients, ils ont été confrontés à un problème majeur: l’approvisionnement en montres de luxe. Ils l’ont résolu avec trois profils de partenaires: des collectionneurs privés et très confidentiels, d’autres revendeurs de montres et des célébrités.
 
“Parfois, nous faisons appel à des stars. Les marques leur vendent les produits et ils nous les revendent. Des chanteurs, des sportifs, des actrices, des stars de la télé, nous avons des profils diversifiés“, révèle Victor Dreyfuss.
 
Dans le monde entier, la demande est telle qu’Albert et Joshua Ganjei, de la boutique European Watch Company à Boston, reçoivent parfois des virements de personnes vivant à l’autre bout du monde et qu’ils n’ont jamais rencontrées pour des montres à un million de dollars.


Courtesy of Dreyfuss Mayet


"Quand j’ai commencé il y a vingt-neuf ans, le marché n’avait rien à voir. La demande a explosé et les montres s’échangent maintenant comme des marchandises. Pour nous, une vente moyenne atteint un montant de 40.000 dollars aujourd’hui, contre 300 dollars seulement à mes débuts“, se remémore Albert, le père, interviewé en visioconférence transatlantique.
 
Les Ganjei ne représentent officiellement aucune marque, et pourtant, tout le monde semble disposé à leur vendre. Tous leurs produits sont d’occasion, mais jamais portés. Ils vendent plusieurs centaines de montres de luxe par mois.
 
Ils achètent parfois des lots de dix montres pour un million. Le prix des montres est connu internationalement et stable, sauf peut-être à Moscou.
 
“Tout le monde aligne ses prix sur Chrono 24, une entreprise allemande. On ne peut pas trop s’en éloigner“, explique Joshua, le fils.
 
Père et fils vendent actuellement environ 3.000 montres par an, au prix moyen de 25.000 dollars, soit un pactole annuel de 75 millions de dollars. Ils ont vendu plus de dix fois certaines montres.
 
"Étant donné la richesse générée au cours des dix dernières années, il y a tellement de liquidités en circulation que la demande en marchandises de luxe explose. Pour les hommes, cela se limite aux voitures, aux montres, aux whiskies, aux vins et aux cigares. Aux États-Unis, le marché commence seulement à s’éveiller. Une bonne montre reste très abordable et très facile à revendre. L’idéal, en somme", s’amuse Albert.

"Un objet de représentation culturelle"


 
Même à Genève, peu de collectionneurs de montres peuvent rivaliser avec Wei Koh, dont le magazine pour homme The Rake a même signé des éditions limitées de montres avec des marques comme Chopard.
 
"L’intérêt pour les montres a explosé. Avant, je considérais les États-Unis comme le marché émergent le plus prometteur pour les montres, mais maintenant, le monde entier est concerné. Tous les athlètes, les acteurs et les influenceurs veulent porter une belle montre au poignet. Et c’est un actif intéressant quand on sait bien l’acheter. Lorsque l’on est invité à une soirée, difficile de faire entrer sa voiture, son cheval ou sa maison. Mais vous pouvez porter une montre. C’est un objet de représentation culturelle", s’enthousiasme Wei Koh.
 
Cette nouvelle popularité n’a pas que des avantages et n’a pas échappé à la vigilance des voleurs de montres, qui ciblent de plus en plus leurs riches propriétaires, comme peuvent en témoigner les gendarmes de St Tropez ou la police de Miami.
 
"Les capitales européennes sont de plus en plus dangereuses pour les propriétaires de montres. Et à Los Angeles, il y a même un homme qui a été abattu pour sa Richard Mille. La moitié de ceux qui sont allés à St Trop’ l’été dernier avec une Richard Mille sont repartis sans. Elles sont très originales et elles valent 250.000 dollars environ, donc ce sont des cibles de choix", souligne Wei Koh.
 
Ce boom du prix des montres a d’ailleurs donné lieu à quelques rumeurs, affirmant que les géants du luxe comme LVMH et Kering, certains fonds spéculatifs ou certains potentats du Golfe sont intéressés par la reprise d’horlogeries de luxe, pour l’instant restées dans le giron familial, comme Patek Philippe, Richard Mille ou Audemars Piguet, dont le PDG va bientôt partir.
 
“Est-ce qu’ils ont envie de vendre? Imaginez plutôt: on produit environ 2,5 millions de montres de luxe par an. Mais si vous regardez les fabricants de voitures de luxe, ils n’en produisent pas plus, et il y a beaucoup plus de marques de voitures. Donc cela m’étonnerait que ces horlogers aient envie de vendre leur poule aux œufs d’or, qu’ils ne pourront jamais remplacer“, analyse Wei Koh.
 
Depuis une dizaine d’années, les grandes maisons comme Audemars Piguet, Rolex, Patek Philippe, Vacheron Constantin et Richard Mille ont de longues listes d’attente.
 
"Ça tient plus de la wishlist que de la liste d’attente: on peut très bien attendre pendant des années et ne rien avoir du tout!", prévient Camille Mayet.
 
Il y a tellement de rotation sur le marché des montres de luxe que la même Rolex s’est vendue neuf fois en un an sur Watchfinder. Ce n’est pas l’approche de Dreyfuss Mayet, qui sélectionne ses petits bijoux "hors marché" à des personnes qui souhaitent les garder.
 
"Franchement, si une maison comme Audemars Piguet se rend compte que vous avez immédiatement revendu votre nouvelle montre, ils sont bien capables de vous blacklister, et c’est même très probable", avertit Victor Dreyfuss.
 
Les autos de prestige ont besoin de chauffeurs qualifiés pour être livrées, mais la plupart des revendeurs de montres de luxe se contentent de faire appel à Ferrari Group Expedition (sans rapport avec les voitures de course, ndlr). L’année dernière, Dreyfuss Mayet a vendu environ 350 montres pour un montant de 8 millions de dollars. Ils espèrent faire croître ce chiffre de 50% cette année.
 
"Le marché a perdu la tête. Si vous achetez une montre, allez passer six mois en Thaïlande sur la plage et rangez votre montre à l’abri dans un coffre-fort. Quand vous reviendrez, vous vendrez votre montre et elle aura payé vos vacances", s’esclaffe Camille Mayet.

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