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7 mai 2020
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Le marché mondial du luxe devrait plonger de 20 à 35 % en 2020

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7 mai 2020

La crise engendrée par la pandémie du coronavirus contraint analystes et économistes à revoir leur copie. A l’occasion de son 19e Observatoire, la fondation Altagamma, réunissant les grands noms du luxe italien, a dévoilé ce jeudi lors d'une visioconférence ses prévisions pour le secteur à travers son consensus et une étude réalisée par le cabinet Bain & Company. Comme il fallait s’y attendre, une chute drastique est attendue pour cette année. Mais au-delà, de grands bouleversements vont modifier en profondeur le marché du luxe.


La crise du Covid-19 va changer profondément l'achat de luxe - dior.com


Selon le consensus d’Altagamma, synthétisant l’avis d'une vingtaine d'analystes, le chiffre d’affaires de l’industrie du luxe devrait plonger de 20 % en 2020, tandis que la rentabilité des entreprises devrait nettement se détériorer avec une chute de 30 % de leur résultat brut opérationnel (Ebitda). Montres (-25 %), bijoux (-22 %) et habillement (-21 %) enregistreront les baisses les plus importantes, tout comme le canal de la vente en gros (-29 %), tandis que les marchés les plus touchés seront l’Europe (-29 %) et l’Amérique du nord (-22 %), l’Asie ne reculant que de 5 %.

Dans son étude, Bain & Co confirme cette tendance en esquissant toutefois deux scénarios possibles. Alors que les ventes mondiales de biens de luxe ont diminué de 25 % à taux de change constant (-22-23 % à taux de change courant) au premier trimestre 2020, elles devraient fléchir de 50-60 % au deuxième trimestre, suivant deux options différentes. Dans le premier cas, tablant sur un rebond très rapide et énergique surtout en Chine et Asie, les ventes accuseraient une baisse moins forte située entre 20 et 25 %, à 180 milliards d’euros. Dans le deuxième cas, prenant en compte une récession européenne et américaine plus longue avec un tourisme réduit à zéro, le recul serait plus prononcé, entre -30 et -35 %, à 220 milliards d’euros.

"La situation serait deux fois plus désastreuse qu’en 2009", prévient Claudia D’Arpizio, partenaire de Bain & Company et auteure de l’étude. "Lors de la crise de 2008-09, les ventes de luxe avaient diminué respectivement de 9 %, puis de 2 %, et dès 2010, le marché avait récupéré aussitôt avec un niveau plus élevé que celui pré-crise. A l’époque, le marché avait bénéficié du début de la croissance du luxe en Chine. Avec le Covid-19, la baisse sera plus importante et la reprise moins rapide", poursuit-elle.

La reprise n’adviendra pas avant 2022, voire 2023



Compte tenu de la situation actuelle avec une économie réelle en forte souffrance, un tourisme en berne et la chute de la confiance des consommateurs, la reprise n’adviendra pas avant 2022, voire 2023. Et encore, elle dépendra beaucoup de "la capacité des marques à être proactives pour répondre aux besoins des consommateurs", selon l’analyste. Dans ce contexte, les prévisions ont été revues à la baisse avec un taux de croissance annuel tournant à 2 ou 3 % entre 2019 et 2025, et non plus 4 à 5 % comme cela avait été estimé en novembre dernier, pour atteindre un chiffre d’affaires total dans cinq ans de 320-330 milliards d’euros.

D’une manière générale, la crise induira de nouvelles tendances, avec une forte accélération des mouvements de fond déjà en acte. Le marché devra d’abord affronter des changements de comportements temporaires. A commencer par un nouvel équilibre entre le luxe expérimental, tel voyage, gastronomie, bien-être, etc. et le produit, avec un retour des dépenses vers celui-ci. La restriction dans les déplacements et la peur engendrée par la propagation du virus pénaliseront de fait les "sorties". L’on peut parier aussi sur un boom initial des achats de luxe pour se faire plaisir après le confinement, qui sera suivi par une consommation plus stable, mais aussi plus faible comparée à l’avant-crise.


Les deux scénarios possibles de la reprise post-coronavirus - Bain & Company


Dans cette perspective, les achats se concentreront sur les marques les plus fortes et significatives avec un polarisation attendue entre les gagnants et les perdants. Enfin, dans la cérémonie de l’achat, l’élément de la sécurité sanitaire deviendra primordial, le packaging et le reste passant au second plan.

Dans cinq ans, l’empire du Milieu représentera près de la moitié de la consommation de luxe dans le monde



A côté de ces effets, destinés à s’estomper avec le temps, Bain & Company dresse une liste de sept tendances structurelles, déjà amorcées, qui seront amenées à s’installer durablement. A commencer par la montée en puissance de la Chine, marché toujours plus incontournable pour l’industrie. Sa part devrait passer de 11 % aujourd’hui à 26-28 % du total des ventes de luxe dans le monde en 2025, tandis que les achats réalisés par des Chinois dans le monde passeront de 35 % à 47-49 % entre 2019 et 2025. Dans cinq ans, l’empire du Milieu représentera près de la moitié de la consommation de luxe dans le monde, à la faveur d’un important rapatriement dans son marché domestique des achats de luxe auparavant réalisés à l’international.

Autre conséquence significative de cette crise, la montée en puissance des ventes en ligne, désormais totalement dédouanées, le confinement ayant achevé de convaincre les plus réticents. "Toutes les barrières psychologiques sont tombées. Certes, il y aura un retour à la boutique physique, mais l’on assistera à une véritable intégration beaucoup plus équilibrée entre les deux réalités, virtuelle et physique", souligne Claudia D’Arpizio.

Une autre tendance destinée à se renforcer sera l’importance donnée au développement durable. A côté des questions sur l’environnement, les problématiques sociales et humaines seront davantage prises en compte, avec l’obligation pour les griffes de repenser aux cycles de vie de leurs produits, à leur chaîne d'approvisionnement, à la manière dont elles élimineront leurs stocks invendus, etc. Parallèlement, la consommation sera davantage pensée. L'éthique deviendra une valeur aussi importante que l'esthétique, et sera déterminante dans l’orientation des consommateurs vers telle ou telle marque.

" La marque deviendra une plateforme de créativité plus seulement en termes de produits"



Parmi les trois autres tendances repérées par Bain & Company : la montée de l’orgueil local accompagnée d’une vague de nationalismes et une fierté culturelle de plus en plus affichée dans certains marchés, comme la Chine. L’importance pour les griffes d’avoir une gamme de prix étendue, avec une segmentation des produits et tarifs ciblés selon les différents publics et comportements. Enfin, une demande accrue en termes de divertissements, d’émotions et surtout de dialogue authentique avec les marques. "Il leur faudra engager les consommateurs de manière plus intime. La marque s’érigera ainsi toujours plus en éditeur, en créateur de contenus… et d’amitiés. Elle deviendra une plateforme de créativité plus seulement en termes de produits", constate Claudia D’Arpizio.

Pour affronter ces multiples et nouveaux défis, les entreprises devront être plus que jamais cohérentes dans leur propos. L’analyste n’hésite pas à parler d’une révolution. "Cette révolution, déjà en acte, va s’accélérer et devra se faire de l’intérieur par les marques avec une grande rapidité et capacité d’adaptation. Les entreprises du luxe doivent planifier la transformation du secteur à tous les niveaux, en plaçant le consommateur au centre de leur stratégie", conclut-elle.

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