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18 nov. 2022
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Le Black Friday lance une période de Noël teintée d'inflation

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18 nov. 2022

Si le Black Friday se tiendra techniquement du 25 au 28 novembre, il a dans les faits déjà commencé. Les rabais se sont déjà multipliés ces derniers jours chez enseignes et portails, tandis qu'Alibaba menait sa massive "Fête des Célibataires" dès le 11 novembre. Mais, avec une inflation passée de 5,6% à 6,2% en France entre septembre et octobre, ce Black Friday s'inscrit à nouveau dans un contexte hors-norme, après deux éditions sous le signe de la crise sanitaire. FashionNetwork.com a croisé études disponibles et témoignages de marques pour esquisser les contours de ce rendez-vous commercial, qui, dans la conjoncture actuelle, deviendrait de plus en plus difficile à bouder pour les marques.


Shutterstock


La première question est de savoir si cette édition est attendue. Une enquête Toluna menée pour la fédération de la vente en ligne (Fevad) estime que ce Black Friday est attendu par 70% des consommateurs interrogés, et en particulier par les retraités (à 80%) et les urbains (à 75%). Du côté des chiffres OpinionWay réunis pour Clearpay, ce sont quelque 92% des jeunes consommateurs qui déclarent leur intention d'acheter durant la période, avec en moyenne 192 euros de budget. Dans sept cas sur dix, il s'agit d'acheter des cadeaux de noël. 

L’anticipation est cependant plus mesurée que cela si l’on se fie aux chiffres de Bonial (Axel Springer), qui estime que seuls 28% des consommateurs tricolores attendent l’événement marchand. Et, au sein de ce groupe spécifique, fait état d’un budget moyen alloué en hausse de 100 euros sur un an, pour s’établir cette année à 398 euros. 

Toujours sur les questions de budget, l'enquête Sapio Research pour Shopify pointe que 57% des Français (pro et anti-Black Friday) entendent en moyenne dépenser autant pour le Black Friday 2022 que pour le précédent. Un chiffre porté à 74% chez les 18-24 ans français, contre 63% seulement au niveau global. La volonté d'économiser est bien présente chez 37% des Français interrogés, mais 78% des Millennials et les trois quarts des Gen-z entendent bien profiter du Black Friday pour "se faire plaisir".

Un manque à gagner de 2,1 milliards pour le secteur



Une autre étude, menée auprès d'un millier de consommateurs français pour ShipStation et Packlink, chiffre quant à elle à 11,5% la réduction moyenne du budget dédié au Black Friday et à Noël. Un manque à gagner de 2,1 milliards d'euros pour les commerçants. Près d'un tiers des Français interrogés citent l'inflation comme raison de ce recul, 61,5% réduisent leurs achats non alimentaires pour les fins d'année. Dont près d'un tiers qui les suppriment tout bonnement.



Catégories pour lesquelles les acheteurs français prévoient de dépenser le plus cette année pour les cadeaux de Noël : - Etude Sensormatic



“Avec la tension actuelle sur la consommation, les gens recherchent les bonnes affaires et vont avancer leurs achats de Noël”, estime Pierre Chambaudrie, directeur général de Courir, qui indique s’attendre à une forte activité pour le fameux vendredi.

Avis partagé par François Aspe, codirecteur de la marque Eram: “Le Black Friday est très attendu”, nous indique le responsable. “Les ventes en octobre et début novembre n'ont pas été très dynamiques, notamment en raison de la météo clémente. Nous avons plus de stock que l'an passé pour cet événement, mais nous avons aussi acheté davantage cette saison".

Proposer des rabais représente un coût, pour les vendeurs, qui ont par ailleurs dernièrement vu leurs frais (acquisition, énergie, logistique...) se gonfler. Ainsi, neuf entreprises sur dix s’attendent à ce que ces hausses de coûts aient un impact négatif sur la période, selon une enquête internationale ShipStation et Packlink. En réponse, ces entreprises opteraient pour hausses des frais de livraison (35%), allongement des délais (26%), augmentations des promotions (18%) et suppression des retours offerts (10%).

La mode, premier rayon du Black Friday



Selon l'enquête Sensormatic, la mode reste en tête des secteurs ciblés pour les cadeaux de Noël, citée par 54,3% des répondants. Le bijou arriverait en cinquième position (29%), directement devant les cadeaux santé et bien-être (26,4%) et les articles de sport (20,7%).


Fevad


L'enquête Shopify place également la mode en première position des catégories de consommation pour la fin d'année, avec plus du tiers des répondants la citant. Elle arrive ainsi devant les biens électroniques (28%) et les boissons et aliments (26%). Mais l'enquête pointe par ailleurs l'engouement croissant pour les cadeaux issus de la mode de seconde main, privilégiée par 21% des répondants. Pas moins d'un consommateur français interrogés sur dix déclare en outre désormais éviter marques et enseignes faisant la promotion de la Fast Fashion.

"Cela peut paraitre peu, mais c'est une part croissante", pointe Emilie Benoit-Vernay, directrice de Shopify pour l'Europe du Sud. "L'année 2022, qui a été difficile d'un point de vue climatique, est venue appuyer cette prise de conscience. Ce qui incite par ailleurs à se tourner vers des marques avec des valeurs notamment portées par la nouvelle génération de designers que nous voyons actuellement fleurir".


Canaux privilégiés durant les derniers et le prochain Black Friday et la période de fin d'année - Sensormatic



Kantar rappelle pour sa part que les ventes de mode sur les trois jours centraux du Black Friday (du vendredi au dimanche) avait atteint 140 millions d'euros en 2014 en France. Ce chiffre est passé à 353 millions l'an passé, après un pic à 373 millions en 2019. "On estime que ce sont maintenant 10% des ventes mode de novembre qui sont réalisées sur ces trois jours", indique Hélène Janicaud. Elle chiffre à environ 60 euros et trois articles les achats réalisés en moyenne par les consommateurs de mode sur la période. Chiffre à lire à l'aune de rabais (environ 25-30%) inférieurs à ceux proposés durant la soldes (vers les 50%).

Un calendrier des achats bouleversé



Une décennie plus tôt, l'accélération du Black Friday en France avait eu un effet notable sur les achats de Noël. Le pic de ces derniers s'était progressivement déplacé de début décembre à la fin novembre. Les grandes enseignes, notamment d'habillement, avaient accentué le phénomène en débutant les rabais parfois une dizaine de jours avant le fameux vendredi. La Journée des Célibataires du 11.11 médiatisée chaque année par Alibaba s'est intégrée dans ce glissement calendaire. Et l'inflation exceptionnelle de 2022 semble désormais enfoncer le clou, selon l'étude Sensormatic.

Quelque 31% des sondés avaient entamé leurs achats de Noël dès la fin octobre, alors que l'inflation croissante faisait l'actualité. Les Français seraient 42% à prévoir de faire leurs achats de Noël plus tôt que l'an passé, et trois quart du panel les auront entamés avant-même le mois de décembre. L'augmentation des coûts pousse 68% à prendre plus de temps pour la recherche de cadeaux, et 43% déclarent acheter tôt par anticipation d'une hausse des prix.

"Il y a des acteurs comme La Redoute qui ont fait du Black Friday un événement qui dure jusqu'à trois semaines ou un mois, ce qui dilue les achats liés à la période", pointe Hélène Janicaud, évoquant la difficulté croissante à analyser le Black Friday. 

Des consommateurs également méfiants



Il existe par ailleurs une défiance des consommateurs. L'an passé, chez les réticents interrogés par Kantar, trois quarts pointaient de "fausses bonnes affaires", la moitié évoquaient des promotions sur des pièces qui ne les intéressaient pas. Et 31% jugeaient que l'événement pousse à acheter des produits dont ils n'ont pas besoin. 



Sensormatic



Cette année, l’enquête Fevad indique que les premières raisons de ne pas pas profiter du Black Friday sont la volonté de faire des économies (37%), le rejet de la surconsommation (27%) et des rabais intéressants (15%).

“On va ouvrir les vannes des promotions”



"Beaucoup de questions se posent également côté vendeurs", pointe Hélène Janicaud. "Même s'ils ont moins de stocks, et y compris chez nos interlocuteurs qui ont une politique de réduction des promotions, beaucoup ont décidé de quand même de faire le Black Friday cette année. Signe que c'est désormais un rendez-vous important avec les consommateurs. Et cela concerne même certains acteurs qui l'an passé ont refusé de participé, et opté pour le Green Friday".

Chez le spécialiste des cuirs et peaux La Canadienne, le PDG Jean-Sebastien Veilleux s’estime ainsi "piégé par le Black Friday”, dont les clients lui parlent dès début novembre. “ Nous n'avons pas le même modèle économique que les grandes chaînes qui peuvent faire des remises toute l'année”, nous confie-t-il. “Nos marges ne nous le permettent pas… Mais nous allons quand même prendre part à l'opération cette année encore: les ventes de début de saison sont délicates, les stocks sont là, et nous avons un PGE à rembourser. Donc on va ouvrir les vannes des promotions pour faire du volume”

Refus et Green Friday



Au-delà de la défiance des consommateurs, les deux dernières années ont vu se multiplier du côté des commerces eux-mêmes un rejet du Black Friday: événement qui s’est ajouté dans un calendrier de promotions aux allures d’interminables tunnels de rabais. Cette année, des pure-players comme Ebay et des enseignes d’ampleur comme Jules ont de nouveau indiqué leur intention de ne pas prendre part au rendez-vous. 

Néanmoins, comme pointé plus haut, le "vendredi noir" n’en est pas moins devenu un rendez-vous avec le client dont il devient, par temps de crise, difficile de se passer. Ainsi, Jules ne proposera pas de rabais, mais entend profiter du Black Friday pour inciter ses clients à rapporter des vêtements usagés en échange de bons d’achats.


Fevad



L’enseigne Etam tente elle de jouer sur les deux tableaux. Elle proposera des promotions agressives, mais accompagnera l’opération d’initiatives solidaires. Les clients pourront choisir entre bénéficier de rabais de 50% ou de 40%: dans ce second cas, le montant des 10% de différence sera reversé par Etam à l’association Solidarité Femmes.

Quelle place pour la responsabilité ?



Le Black Friday n'efface pas l'ambition de consommer responsable: 75% des répondants de l’enquête Shopify veulent y acheter des pièces de meilleure qualité que par le passé, et amenées à durer. Une part inférieure cependant à celle constatée par la même enquête en Allemagne (77%), Espagne (84%) et Italie (88%).

Côté développement durable, cette même enquête relève que 65% des Français déclarent consommer de façon plus durable cette année, et vouloir accentuer cette pratique en 2023. Parler de "prime à la durabilité" pour les vendeurs durant le Black Friday reste cependant prématuré.


Fevad



“Je comprends que c’est l’occasion de faire de belles affaires, mais je vois aussi que les consommateurs ont de plus en plus d’appétence pour la seconde main”, relevait par ailleurs récemment dans le JDD la secrétaire d’État à l’Économie sociale, solidaire et responsable Olivia Grégoire. “Pour une adolescente, la mode, c’est d’avoir un jean de seconde main, bien plus que le dernier jean de telle ou telle marque”.

Analyse que semble confirmer l’enquête Fevad concernant les cadeaux de Noël, dont 30% de répondants préfèrent des cadeaux d’occasion. Car au-delà de sa seule période, ce Black Friday 2022 concentre sur lui l'ensemble des questionnements portant sur la consommations pour la toujours très stratégique période de fin d'année. Une période de fête aux enjeux socio-économiques plus affirmés que jamais.


 

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