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28 févr. 2023
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La création africaine montre sa diversité et sa cohésion à Paris

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28 févr. 2023

À la suite d'un nouveau partenariat noué en 2022 avec le programme CANEX (Creative Africa Nexus), qui favorise le rayonnement d'entreprises et créateurs africains, le salon Tranoï expose à Paris les propositions mode de jeunes talents et marques venus du Ghana, du Kenya, du Nigeria ou de Côte d'Ivoire. L'occasion de réunir quelques-uns de ces stylistes et dirigeants autour d'une table-ronde aux Galeries Lafayette Haussmann, afin d'appréhender les contours d'une mode plurielle, mais portée par un même élan d'expansion. Objectif? Mieux se faire connaître et s'exporter davantage.


De gauche à droite: Serge Carreira, Rich Mnisi, Iona McCreath, Lafalaise Dion et Elsa Durieux. - FNW


"Notre objectif est de faire grandir l'économie créative en Afrique, comme cela a pu se structurer en Europe. Ce qui manque sur notre continent c'est un écosystème construit autour de ces créateurs pour monétiser leur activité, et c'est ce que l'on met en place avec le CANEX. Car ils peuvent tous devenir des acteurs internationaux. Mais présenter seul ses tenues à Paris au moment de la Fashion Week, c'est inabordable. En mutualisant les efforts et venant en groupe se présenter aux revendeurs, nous donnons une fenêtre à la mode africaine sur ce marché mondial", expose Temwa Gondwe, directeur 'Intra African trade' à l'African Export-Import Bank.

En septembre dernier, un premier contingent de créateurs africains avait élu domicile au Tranoï. Avec réussite, selon Boris Provost, le directeur général du salon: "Ce n'est pas qu'un vecteur d'image, des commandes fermes avaient été passées, des acheteurs ont montré leur intérêt, donc nous amplifions le mouvement pour cette nouvelle édition". 17 marques sont présentes, dont dix côté prêt-à-porter et sept au rayon accessoire.


Les cauris de Lafalaise Dion (crédit:Daron Bandeira) - DR


Parmi elles se trouve Lafalaise Dion, créatrice et journaliste ivoirienne qui met à l'honneur ce coquillage blanc nommé le cauri, typique de l'ouest de son pays. Une façon de se reconnecter à un patrimoine ancestral lié à la spiritualité. "Je ne transforme pas les cauris, je les sublime. C'est une collaboration avec la matière. C'est aussi un regard sur nous-mêmes et nos traditions, qui ont parfois été rejetées avec la colonisation. Mettre en lumière ce symbole sacré permet en quelque sorte de se réapproprier l'Histoire", expose-t-elle. Ses créations sont fabriquées par des artisans locaux, dont 100% de femmes dans son atelier ivoirien.

Sur l'échiquier mondial, la création africaine monte en puissance. "Dior qui défile à Marrakech en 2019, Thebe Magugu lauréat du prix LVMH, Chanel qui met en avant les savoir-faire locaux à Dakar tout récemment… Les marques de luxe voient en l'Afrique une dynamique créative et un marché d'avenir", indique Sandrine Pannetier, directrice du cabinet de tendances Leherpeur Paris. Mais le bouillonnement s'amplifie aussi et surtout de l'intérieur. Comme le dit Kenneth Ize, styliste d'origine nigériane (cité lors de la conférence), "la mode africaine n'attend plus qu'on lui propose une place, elle s'y impose".

Le web comme vecteur de communication et d'expansion



Les nouvelles technologies ont permis cette diffusion plus large, contournant les frontières et les contraintes. La digitalisation a ainsi offert de nouveaux horizons aux jeunes labels, comme pour Rich Mnisi, qui a fondé sa marque en 2015 en Afrique du Sud: "J'ai vraiment débuté sur Instagram. Le storytelling est très important, les réseaux sociaux sont un nouveau monde qui crée beaucoup d'opportunités, enlève la distance et permet une relation directe au consommateur", exprime celui qui a collaboré avec Adidas ou créé des NFT avec Coca Cola.


Les créations féminines de Rich Mnisi - DR

 
Côté style, attention aux raccourcis. Il n'existe évidemment pas une seule mode africaine, mais de nombreux parti-pris, de la plus grande sobriété aux couleurs explosives, des lignes minimalistes aux superpositions festives, révélant la diversité des 55 pays qui composent le continent. Les créateurs portent néanmoins des engagements souvent communs, comme celui de placer l'humain au centre, de favoriser les techniques et fabricants locaux, et de repenser le cycle de la mode, "avec un processus plus lent et davantage calé sur le rythme de la Terre", analyse Elsa Durieux, du bureau Leherpeur. Les enjeux écoresponsables étant souvent déjà intégrés dans leur raison d'être. Elle ajoute que "la main d'un tissu (à savoir les qualités tactiles d'une matière, ndlr) est souvent sublimée et très importante, un critère dont on s'est probablement éloigné en occident".

"Mettre l'Afrique sur la map"



Une pluralité créative que cherche à mettre en exergue jusqu'au 16 avril avec l'exposition 'Africa Fashion' du Victoria & Albert Museum de Londres, qui va ensuite voyager dans d'autres métropoles et ainsi "mettre l'Afrique sur la map", se félicite Lafalaise Dion, qui collabore cette année avec la griffe Acne Studio. D'autre part, le continent africain -le plus jeune de la planète- a été désigné comme 'laboratoire du futur' par la Biennale de Venise 2023, car il "concentre toutes les interrogations du monde actuel", appuie Sandrine Pannetier.

Serge Carreira, le directeur du projet 'marques émergentes' à la Fédération de la haute couture et de la mode, ajoute que "l'effervescence culturelle qui dynamise l'Afrique" est véritablement globale, de la musique, à la photographie, en passant par le cinéma et la mode. "Certains talents ont su parler à une audience internationale, à l'heure où la pop culture américaine s'interroge sur ses racines, qui sont aussi en Afrique. L'idée de la mémoire est très ancrée dans le monde d'aujourd'hui".


Silhouettes de Kiko Romeo - DR


"Beaucoup de nos traditions, notamment vestimentaires, n'ont pas été documentées dans l'Histoire. Créer des looks est pour moi une manière de raconter une version d'histoire, celle de coutumes plus ou moins disparues dont on s'inspire", relate Rich Mnisi. "Comprendre notre héritage et le diffuser, c'est l'arme et la mission de notre génération", abonde Iona McCreath, directrice de la création de Kiko Romeo, qui a étudié à la Saint Martins School de Londres avant de revenir travailler au Kenya au sein de l'entreprise de mode familiale, créée en 1996. "C'est pour cela qu'il est primordial de raconter tout le processus derrière la marque".  

Amener les acheteurs internationaux en un seul lieu



Du 21 au 27 novembre 2023, le CANEX organise un salon professionnel à Abidjan, en Côte d'Ivoire, pour réunir la création africaine dans les secteurs de la mode, de la musique, de l'art et même de la gastronomie. Objectif? "Amener les acheteurs internationaux en un seul lieu, leur donner un goût de l'Afrique, et susciter des opportunités d'investissement", souligne Temwa Gondwe, qui précise également qu'en dehors de l'export, l'Afrique, où les concept-stores mode se développent, est un marché très important à explorer par ses propres créateurs, grâce au principe de libre-échange en vigueur sur le continent.

D'ici là, les créations des 17 talents africains sélectionnés sont donc à découvrir dans les allées du Tranoï, qui se tient du 2 au 5 mars au Palais Brongniart (IIe arrondissement). Les organisateurs du salon, qui collaborent depuis un an avec la Seoul Fashion Week, mettent aussi l'accent sur l'Asie, puisqu'un tout nouveau partenariat a été noué avec la China Fashion Designers Association, avec pour but de faire découvrir la nouvelle génération de la mode chinoise. Rendez-vous est pris.

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