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10 avr. 2019
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Jean-Dominique Regazzoni (Emo-Sotratex) : "Les coefficients multiplicateurs massacrent le made in France"

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10 avr. 2019

Dix ans après un plan social ayant divisé par deux ses effectifs, le façonnier troyen Emo (tricotage, teinture, coupe, confection, finition) a remonté la pente. Son PDG Jean-Dominique Regazzoni confie néanmoins ne plus avoir envie de développer l’activité par crainte de nouvelles secousses. A l’occasion d'une rencontre sur le salon Made in France Première Vision qui s'est tenu les 3 et 4 avril au Carreau du Temple à Paris, il évoque pour FashionNetwork.com la pression sur les prix exercée par les marques donneuses d'ordre.


Jean-Dominique Regazzoni - MG/FNW


FashionNetwork.com : Comment se porte aujourd’hui l’activité d’Emo ?

Jean-Dominique Regazzoni  : Aujourd’hui, nous employons 95 personnes à la confection, auxquelles s’ajoutent 22 personnes dans notre société de teinture Sotratex. Nous avons également un petit atelier en Roumanie qui fait de l’assemblage et emploie 35 salariés. Nous exportons 30 % de nos productions, en particulier vers le Japon où il y a toujours, et c’est tant mieux, un fort attrait pour les produits made in France. Il y a eu à un moment un certain ralentissement, avant que cela ne reparte à la hausse. La question est de savoir si c’est lié à l’accord de libre-échange UE-Japon, qui a mécaniquement engendré une baisse non-négligeable de 11 % de nos prix. Il y a sans doute aussi eu un effet lié au yen, qui était monté très haut et est retombé à un niveau plus normal. Cela fait trois ans que notre activité est stable et que nous sommes de nouveau rentables, ce qui est évidemment essentiel.

FNW : Fort de ce retour à l’équilibre, prévoyez-vous des développements ?

JDR : Nous avons été par le passé jusqu’à 180 personnes. Puis nous avons vécu un plan social en 2009/2010. Pour moi cela a été un drame, même si certains se persuadent que le chef d’entreprise se frotte les mains dans ces moments-là. Il a fallu déposer le bilan. Aujourd’hui, cela va un peu mieux. Nous sommes encore en train de finir de rembourser notre plan. Mais il n’y a pas pour l’instant de développement possible.

Et, malheureusement, dans le contexte actuel, je n’ai plus envie de développer mon entreprise. Cela a été tellement catastrophique et humiliant d’être pris pour le dernier des… Si bien qu’aujourd’hui je préfère me contenter de ce que j’ai, de refuser des choses plutôt que de grossir. Car je suis encore dans le traumatisme de me dire que si je redéveloppe et que je suis obligé ensuite de réduire à nouveau, je serai une nouvelle fois pointé du doigt. Qu’un gros client du jour au lendemain nous enlève 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires, ça ne pose de problème à personne. Mais moi, le façonnier qui faisait ses produits, c’est de ma faute si je restructure car je n’aurai pas été assez prévoyant.

FNW : Comment ont évolué les attentes des donneurs d’ordre ?

JDR : Ce qui ressort surtout, c’est que nos clients font pression sur les prix. C’est aussi un problème : on vend un prix, on ne vend plus un produit. Et cela se traduit en boutique, où vous n’achetez plus un produit mais du vent, à l'image des concept-stores proposant une scénographie épurée avec trois articles au mètre carré et surtout des prix multipliés par dix par rapport aux prix de sortie d’usine. Ce qui n’empêche pas qu’on vous dise que c’est vous, le fabricant, qui êtes trop cher. Il y a là un vrai problème. Les coefficients multiplicateurs massacrent l’industrie française et le made in France. Pour une pièce produite à 5 euros, on demande 50 euros à un consommateur, qui naturellement ne comprend pas. Si on était transparent sur les prix, je pense que l’on retrouverait du volume. Le problème tient au fait que les marques n’appartiennent plus à de vrais gens, mais à des fonds de pension. De mon expérience, on ne travaille bien qu’avec des sociétés appartenant à de vraies personnes, comme Agnès B. ou le Slip Français. Avec les autres, c’est plus difficile.

FNW : C’est donc un autre frein à l’expansion de l'activité…

JDR : Le premier frein à l’expansion, c’est "Quid de demain si j’ai un retournement de marché ?". Ensuite,il faut trouver des gens pour travailler. La question qu’il faut se poser c’est alors "Est-ce que l’on a réellement beaucoup de gens qui sont employables ?". Car je pense personnellement qu’on passe beaucoup de notre temps à former des gens qui ne sont pas faits pour nos métiers. Or nos clients ont des exigences envers nous. Nous devons donc en avoir envers nos employés.
 

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