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3 mai 2013
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Hyères: quand les "anciens" rencontrent PDGs et recruteurs

Publié le
3 mai 2013

A l’ombre de la compétition, les dernières rencontres du festival d’Hyères ont joué les entremetteuses entre l’industrie et d'anciens finalistes mode. Le deuxième jour des 13es rencontres professionnelles fut marqué par un nouveau rendez-vous, The Formers. Son principe: proposer aux révélations des précédentes éditions du festival de converser avec des professionnels du secteur pour faire (re)connaître leur univers et leurs compétences. Un timing bien choisi puisque cette première édition intervenait au lendemain d’une conférence qui soulignait la nécessité d’intensifier le dialogue entre les acteurs des "industries créatives".

Mareunol's avec Céline Toledano (photo: PixelFormula)



Un ticket d’entrée plus cher

Six jeunes designers ont répondu présent à l’appel de The Formers (à la fois "les précédents" et "les créateurs" en anglais, ndlr). Depuis sa création en 1985 par Jean-Pierre Blanc alors âgé de 21 ans, l’événement a propulsé les carrières de plusieurs designers aujourd’hui médiatiquement et commercialement installés. Or, si les parcours de Viktor & Rolf, Gaspard Yurkievich, ou Felipe Oliveira Baptista sont souvent cités en référence, des exemples de révélations plus récentes, à l’exception de Jean-Paul Lespagnard (2008) ou Anthony Vaccarello (2006), se font plus rares. La faute à la crise?

"Il est naturel de vouloir se lancer en solo, se jeter dans l’arène et créer soi-même, estime Philippe Pasquet, président du directoire de Première Vision SA, sponsor principal du concours de mode qui fournit aux finalistes les tissus de leur collection de concours. Mais le ticket d’entrée est de plus en plus cher et les candidats plus nombreux", prévient-il, tout en saluant l’initiative The Formers.

Le fait qu’un symbole de l’amont de la filière soit devenu cette année le mécène principal de la compétition en dit long sur le niveau de professionnalisation des Rencontres et conforte la place de Hyères sur l’échiquier mondial.

Steven Tai, Prix Chloé 2012 (photo PixelFormula)



Formé à Central Saint Martins, le Canadien Steven Tai remportait en 2012 le prix Chloé. Un an plus tard, son nom et sa mode ont fait le tour du monde de la blogosphère. Pour The Formers, il présentait une collection inspirée par le street style et la K-pop qui ont séduit le showroom Florence Deschamps, son représentant à Paris, mais aussi des points de vente prometteurs comme D-Mop à Hong Kong. La Française Céline Méteil, récompensée en 2011 à la fois par le prix Première Vision et celui du Public de la ville d'Hyères, a emprunté un chemin plus minutieux, optant dès l'adolescence pour un brevet technique de modéliste avant d'intégrer LISAA en stylisme, pour apprendre les rouages du métier en tant que seconde d'atelier chez Galliano. "Les professionnels que nous rencontrons ici nous comprennent car eux aussi ont démarré en bas", estime-t-elle. Dans quelques jours, cette force tranquille d'origine bretonne démarrera son premier contrat de style pour une grande marque contemporaine hexagonale. "L'usine, les machines, le travail d'équipe... tout cela me fait rêver" sourit-elle quelques minutes avant un rendez-vous avec Serge Carreira, retail merchandising director chez Prada France. "Après mes années comme seconde, je me sens prête à diriger une équipe", affirme-t-elle.


Transformer le talent

Les professionnels de passage à Hyères saluent unanimement le caractère très personnel des univers des finalistes. "Chaque jeune créateur a un univers très personnel et très puissant", témoigne Floriane de Saint-Pierre, dont le cabinet de recrutement avait fait le déplacement.

Prochaine étape, la diversification des talents: "Je suis persuadée qu'à l'avenir, les créatifs multiplieront impérativement leurs champs de compétences", prédit la chasseuse de tête. A ce titre, le prix Chloé impose un exercice de style (une silhouette femme) remporté cette année par une créatrice initialement destinée à une carrière dans le menswear.

"C'est la première fois que je rencontre un PDG", Léa Peckre (Photo PixelFormula)



"Il leur faut de la patience et surtout de l’expérience", prescrit Céline Toledano, en repérage à la Villa Noailles comme recruteur au sein du cabinet m-O Conseil. "Ces jeunes sont pour la plupart à l’aube de leur carrière, reconnaît la directrice de la 4e année d’études de l’école de la chambre syndicale, conçue justement pour former les stylistes aux exigences de l’entreprise. Notre manière de les aider, en tant que recruteurs, c’est d’identifier leur capacité à créer un produit créatif, au-delà du simple talent".

Et, pour y parvenir, madame Ralph Toledano (à la ville épouse donc du patron de la division mode du groupe Puig) préconise les missions en free-lance: "Il leur faut désormais transformer ce talent, le confronter à une pratique industrielle du métier, qui validera leurs compétences auprès des marques et leur servira aussi dans leur propre aventure en solo". Faute de quoi, la jeunesse d'un candidat peut présenter "un risque pour l’entreprise", témoigne cette ancienne directrice de collection chez Sonia Rykiel.

Cette réalité semble bien intégrée par bon nombre de ces Formers, à l’image de Léa Peckre. "Désormais, je suis à la recherche de mon binôme business", confie cette membre de la pépinière des Ateliers de Paris. "Aujourd'hui, je vais rencontrer un PDG pour la première fois", s'enthousiasme-t-elle au sujet de Ralph Toledano, qui a répondu présent à son invitation.

La lauréate du Grand Prix du jury en 2011 a enchaîné des missions chez Givenchy et Isabel Marant avant de lancer sa première collection commerciale pour l’été 2013. C’est aussi le cas de Wisharawish Akarasantisook, finaliste de la promo 2008 de retour à Hyères après cinq années chargées. "Mon passage à Hyères m’a convaincu de suivre un programme d’un an à l’IFM, à la suite duquel j’ai assisté Guillaume Henry chez Carven", raconte ce Thaïlandais francophile âgé de 31 ans. L’expérience fut formatrice, puisqu’en 2012, Wish remporte le très juteux Mango Fashion Award doté de 300 000 euros. Assez d'argent pour financer la production de sa sixième collection qu’il présentait le week-end dernier aux pros du secteur.


L'effet boule de neige

La valeur des prix décernés dans les concours de mode, au-delà de leur seule dotation, se cache surtout dans les réactions qu'ils suscitent chez les lauréats et dans l'industrie toute entière. "Les récompenses que ces jeunes talents reçoivent peuvent provoquer un effet boule de neige, tout comme leurs parutions dans la presse peuvent entraîner des premiers points de vente", souligne Céline Toledano.

La palme des anciens lauréats les plus récompensés revient au duo Cunnington & Sanderson, un tandem de designers britanniques récompensé en 2008 aujourd’hui à la recherche de financement. Le duo reçoit et honore chaque année les invitations des Fashion Weeks aux quatre coins de l’Europe. Toujours basés dans le Yorkshire, ces Britanniques experts en volumes se disent optimistes pour l'avenir. En attendant les suites de leur effet boule de neige, Cunnington & Sanderson viennent d’intégrer leur collection chez The Cartel à Dubai.

L'installation métaphorique de Felipe Oliveira Baptista (PixelFormula)



"Il n'y a pas qu'une seule route et même si certains se sont fait une place comme Felipe Oliveira Baptista, beaucoup d'autres jeunes talents sont entrés en poste dans des marques", explique Philippe Pasquet. La dernière success story née à Hyères, Anthony Vaccarello, révélé en 2006, ne s'est lancé en solo qu'à la suite d'un contrat en Italie, au studio Fendi dirigé par Karl Lagerfeld.

Et, à regarder de près l'installation média du président du jury mode de 2013, Felipe Oliveira Baptista (photo ci-dessus), cet amas de fils électriques et de circuits connectés ramène à l'idée du réseau, ce que vient précisément alimenter The Formers.

Lauréat du festival il y a onze ans, Felipe Oliveira Baptista a atteint le sommet de son art depuis 2012 en portant la double casquette de créateur indépendant... et de directeur artistique pour Lacoste.

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