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Guillaume Gibault (Le Slip Français) : "La commande publique ne suffira pas à faire tourner l’usine France"

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8 sept. 2020

La crise du Covid-19 a permis à la filière textile française de rappeler son existence aux pouvoirs publics comme aux consommateurs. Le salon Made in France Première Vision, qui s'est tenu les 1er et 2 septembre à Paris, a souligné le défi que représente désormais l'union des acteurs du secteur autour de la prochaine bataille, celle de la relocalisation. Quelques jours plus tard, le 8 septembre au soir, Bercy dévoile aux représentants de la filière les soutiens qui seront propres au textile-habillement. Fondateur du Slip Français, Guillaume Gibault nous livre son sentiment, optimiste mais prudent, quant au chantier qui s'annonce. 


Guillaume Gibault - Le Slip Français


FashionNetwork.com : Quels enseignements tirez-vous de la crise?

Guillaume Gibault : Il y en a pas mal. Le premier, c’est la solidarité qu'a générée cette crise. Cette volonté qu’a la filière textile, qui a été durement touchée par les délocalisations depuis 30 ans, de se redécouvrir. Retrouver une certaine positivité, une envie de travailler ensemble, avec des acteurs qui réalisent avoir tous mené un travail de fond pour une mode plus durable. Tout cela trouve un écho chez un consommateur dont la prise de conscience s’est accélérée avec la crise du Covid.

On a su avec les masques montrer qu’on était capable de retrouver une certaine influence, ou tout du moins une aura dans l’esprit des gens. Si nous continuons à bien faire le boulot, à avoir des produits de qualité pour lesquels on arrive à raconter ce côté “local” et à faire des efforts en innovation, je pense que nous pouvons sortir gagnant de cette période.

Toute crise est vectrice d'opportunités, car elle révèle et accélère les choses. La filière textile française ne doit pas se battre pour garder les emplois d’aujourd’hui, mais travailler aux outils de demain, et aux nouvelles façons de distribuer les produits. Pour vraiment permettre au consommateur qui le souhaite d’acheter local; ce qui est un élément de bon sens mais que l’on avait un peu oublié.

FNW : Il a beaucoup été question du lien recréé entre tisseurs et façonniers. Votre marque travaillant elle-même sur ces liens, quelles sont pour vous les prochaines étapes?

GG : La première chose est que le lien entre textile et habillement est pour moi l’une des clés pour retrouver de la compétitivité et de l’innovation. Si l’on regarde la filière laine, pour réussir à refaire des produits made in France avec des moutons du Tarn, cela ne peut fonctionner qu’en travaillant main dans la main entre fabricants de matières, confectionneurs et marques. Il faut trouver ensemble comment dégager des gains de productivité, et comment réduire encore l’impact environnemental.

Ce travail commun permet de trouver des innovations, ce que l’on ne peut pas faire avec des clients à l’autre bout du monde. Renouer avec notre écosystème doit aussi passer par le digital. Les membres du groupement "Savoir-Faire Ensemble" ont un groupe Telegram sur lequel ils discutent toute la journée, par exemple. Cela montre qu’on a plein d’outils qu’il faut apprendre à exploiter.

En tant que marque, je pense que nous évoluons dans un métier où il y a toujours eu une volonté d’innover. Un métier où le temps, c’est de l’argent, et où de fait on cherche en permanence des moyens de s’améliorer. Il y a désormais beaucoup de boites qui ont pris une optique comme la nôtre, que ce soit dans les culottes menstruelles ou les jeans avec 1083 par exemple.

FNW : Mais pour des marques aux modèles plus “classiques”, pensez-vous qu’un tel virage soit aujourd’hui possible? 

GG : La prise de conscience est à l’œuvre depuis plusieurs années. Après, c’est une question de capacité à mettre en pratique. Quand on est une marque traditionnelle, entre le mouvement des Gilets jaunes, les grèves nationales, le Covid, le tout sur un marché déjà compliqué, je pense qu’il était difficile de passer directement à la prise de position. De dire "on va passer nos approvisionnements en France”, alors qu’il y a un coût et des difficultés à contourner. Je pense qu’hélas il va y avoir de la casse du côté des marques, dont certaines ne vont pas se remettre de ces crises successives.

Cela va laisser la place à des nouveaux modèles. Mais d’ici-là, tout un niveau de gamme va être durement secoué, pris entre deux feux. Et pour lequel la relocalisation telle qu’elle est possible aujourd’hui, dans un modèle classique, est franchement compliquée. Avec d’un côté, les petites marques qui vont se lancer sous de nouvelles formes, et de l’autre, de très grosses locomotives, comme Decathlon, qui sont capables de mettre en place de nouvelles façons de fabriquer.

"Le fait est qu’on a été très soutenus"



FNW: Quel regard portez-vous sur les dispositifs d’aides qui ont été mis en place depuis mars?

GG : Cela a franchement été très bien géré. Les PGE, les liens avec les banques, le chômage partiel… Je crois que tout cela est assez unique à l’échelle européenne. On peut toujours se plaindre, se dire que cela aurait pu être mieux fait, que ça a été trop lent. Mais le fait est qu’on a été très soutenus.

Je suis confiant dans la volonté du gouvernement de nous aider. Mais je suis aussi réaliste sur les contraintes, comme les normes européennes et la régulation des appels d’offre. On comprend bien que l’Etat ne peut pas décider d’acheter français comme ça, il doit d’abord trouver des moyens de le faire. La volonté politique est claire et affichée. Elle se jouera je pense par un panel de choses: financement, accompagnement, mesures fiscales…

Malheureusement,  la commande publique ne suffira pas à faire tourner l’usine France. Au début des masques, c’était un peu ce dont rêvaient certains industriels, mais ce n’est pas ce qu’il s’est passé, et je doute que cela se fasse.

FNW : Bercy vous avait missionné, avec Yves Dubief (Union des industries textiles), pour trouver des débouchés pour les masques made in France invendus. Que retenez-vous de cette mission?

GG : Cette mission n’a été qu’une petite partie de la phase que l’on a vécue. Si je résume simplement, on a vécu une crise unique où il était compliqué de connaître les besoins en masques, et on en a eu beaucoup besoin au début, puis moins au moment du déconfinement, et on voit dernièrement un retour des besoins. Donc l’inquiétude qu’il a pu y avoir au mois de juin a commencé à se résorber au mois de juillet et depuis.

Il faut maintenant regarder à plus long terme : on a réussi à éviter des accidents industriels, personne n’a été laissé sur le carreau à cause des masques. On va encore avoir besoin de ces derniers dans les prochains mois. Mais il faut continuer à travailler à côté. On a tous senti qu’il fallait commencer à travailler normalement, sur des commandes fermes. Par les masques, on a montré notre capacité à travailler ensemble. Certes, le made in France est plus cher, mais les produits sont utilisables plus longtemps. Le masque a agi comme un “démonstrateur”, comme le dit notre administration.

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