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François-Marie Grau (FFPAPF): "Ce climat de guerre aura des conséquences durables sur les ventes"

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10 mars 2022

Deux semaines après l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe, le secteur du textile-habillement continue d'évaluer les effets actuels et à venir du conflit sur leur activité. Production, approvisionnement, ventes et exportations sont amenés à être touchés, de part et d'autre du rideau de fer en qui semble se retisser. Délégué général de la Fédération française du prêt-à-porter féminin (FFPAPF), François-Marie Grau livre son analyse sur ce qui attend les marques travaillant avec l'Ukraine et la Russie, et la consommation française dans son ensemble.


François-Marie Grau - FFPAPF


 
FashionNetwork : Dans quelle situation sont les marques travaillant avec l'Ukraine?

François-Marie Grau : S'agissant de l'Ukraine, pour les entreprises qui font produire dans la partie Ouest, les productions se poursuivent. Sur la partie Est, évidemment, tout est complètement bloqué. Il y a également les enjeux autour de marchandises bloquées. Après, nous nous attendons évidement à ce que tout s'arrête au fur et à mesure. L'Ukraine peut être très importante pour certaines entreprises françaises, pour des entreprises qui produisent là-bas ou qui y ont des établissements propres comme Lener Cordier. Pour elles, la situation économique peut être dramatique. Mais, plus largement, l'Ukraine n'est pas parmi les plus gros fournisseurs de la France, même si elle profite d'une très bonne réputation industrielle. Un bon équipement qui fournit surtout l'Allemagne.

FNW: Qu'en est-il de la situation avec la Russie, client notable des marques françaises?

FMG : La Russie compte parmi nos vingt plus gros clients en termes d'habillement, avec 91 millions d'euros en 2020. Chiffre à mettre évidemment en relation avec le total de 9 milliards d'euros d'exportations. Là encore, les conséquences vont dépendre du poids que représente le pays dans le sourcing et les ventes des entreprises françaises. Car une crise économique s'annonce en Russie: la chute du rouble est spectaculaire, et il faut s'attendre à ce que les difficultés de paiement viennent réduire les commandes russes d'habillement français. C'est très préoccupant.

FNW: Des marques qui doivent par ailleurs se préparer à une consommation plus prudente?

FMG : Ce climat de guerre aura immanquablement des conséquences durables sur les ventes et la consommation en général. Qui viendront s'ajouter aux conséquences de l'inflation, en particulier sur nos produits, qui sont, on le sait, particulièrement sensibles à l'humeur des consommateurs. Sachant qu'en outre nous n'avons pas assisté à une hausse massive de salaires. Tout ceci donne un tableau peu encourageant pour la suite des évènements.

FNW: La fédération compte-t-elle des adhérents distribués en Russie ? Quelle est leur situation?

FMG : Oui, nous en avons. D'ailleurs, juste avant le déclenchement du conflit, nous étions à Moscou sur le salon CPM (Collection Premiere Moscow) avec une délégation de marques. Le salon s'est fermé le jour de l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe. Le climat était tout à fait normal, serein, avec des prises de commandes pour nos entreprises. Évidemment, la question est maintenant de savoir si elles seront confirmées et payées. Car les distributeurs vont eux-mêmes se retrouver face à un marché sinistré. Et ceci indépendamment des questions de paiements, sachant que l'on n'y voit pas encore très clair concernant les possibilités de virement internationaux. Et, vu l'état du rouble, il va falloir être payé en euros ou dollars.

FNW: Boycott ou non, les ventes pourraient donc s'arrêter ?

FMG : La question du boycott ne va pas vraiment se poser. Passé les commandes contractuelles déjà prises, il faut surtout savoir si d'autres commandes vont être passées. Honnêtement, j'en doute, avec un rouble à -40% pour des collections vendues en euros. Cela va laisser peu de clients à l'arrivée. Nous n'avons en tout cas pas eu d'entreprises adhérentes qui, pour l'heure, nous ont annoncé un boycott. Nous nous sommes associés à Guillaume Gibault et au collectif Façon de Faire pour une collecte de vêtements à destination des Ukrainiens. Dès son lancement, la démarche a attiré 27 entreprises, qui ont mis 40.000 pièces à disposition en quelques heures. Tout le monde a été touché par la gravité de la situation des Ukrainiens.

FNW: A quelles conséquences faut-il s'attendre, concernant le prix du pétrole ?

FMG : Le prix du baril impacte tout l'amont de la filière textile, et dans le monde entier. Le pétrole est derrière l'ensemble des matières synthétiques, ce qui fait que la hausse aura un impact sur tous nos vêtements, qu'ils viennent de Chine ou d'ailleurs. Ensuite, nous sommes une filière qui importe 98% de ce qu'elle vend. Donc le coût du transport est une donnée importante. On a donc un consommateur dont on espère qu'il va maintenir ses dépenses d'habillement. Et en face des coûts qui explosent, et qui vont forcer les marques à renier sur les marges et/ou à augmenter leurs prix. Généralement, les deux se font, pour ne pas tout répercuter sur les clients.

FNW: Sachant que les marges ont déjà été érodées ces dernières années…

FMG: Sur la dernière décennie, nous avons perdu 15% de la consommation en France. Et on sort en cascade des Gilets Jaunes, des grèves et du Covid-19. On fait mieux en termes de sérénité. Aura-t-on dans six mois des tensions sur les matières premières, une inflation stabilisée, un contexte international pourri, un nouveau variant… Personne ne peut le dire alors que nous étions en train de retrouver nos niveaux de consommation de 2019. Il faut donc espérer que ce rattrapage se poursuive.
 

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