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22 févr. 2019
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Ecoresponsabilité : quand la technologie se met au service de l'éthique

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22 févr. 2019

Le 22 février, l'ambassade britannique à Paris accueillait une journée de rencontres autour de l'esclavage moderne dans la chaîne d'approvisionnement textile. Un rendez-vous qui a notamment été l'occasion d'aborder différentes initiatives destinées à accompagner les démarches des entreprises dans leur cheminement vers plus d'éthique et de transparence.


A gauche et à droite de la scène, Marguerite Dorangeon (Clothparency), Agathe Roussel (Makesense), Katie Shaw (Open Apparel Registry) et Craig Merlson (TechUK) - MG/FNW


Une direction qui se fait urgente notamment en raison de l'appétence des clients pour une consommation plus responsable, a rappelé Marguerite Dorangeon, cofondatrice de Clothparency, application qui permet de découvrir l'impact social et environnemental des vêtements pour permettre au client de choisir en conséquence. « Tout part du fait qu'il y a un vraiment manque d'information concernant les vêtements, côté consommateurs », explique la responsable. « Ce qui fait que quand une marque diffuse des informations sur les démarches vertueuses qu'elle entreprend, les clients doutent, craignent du greenwashing, du fait que l'on ne parle que des points négatifs. Communiquer sur tout, y compris sur ce qu'on ne fait pas, devient essentiel pour contrer cela. »

Mais, comme le montre une étude de l'Institut Français de la Mode abordée par FashionNetwork, nombre de distributeurs ne savent eux-même pas d'où viennent les tissus de leurs collections. Ce à quoi compte remédier Open Apparel Registry, ou OAR, initiative qui entend permettre d'identifier toutes les sociétés de la filière à travers le monde. « Il règne une vraie confusion autour des sociétés de production, y compris parfois jusqu'à leurs coordonnées », explique Katie Shaw, outreach manager de l'opération. « Trois donneurs d'ordre attribuent parfois trois noms différents à un fournisseur, ce qui rend l'évaluation de leur poids, de leur sérieux et de leur respect des règles très difficile. L'idée est de donnée à chacun un identifiant chiffré, qui permettrait pour la première fois de structurer une vision d'ensemble. »

Une approche technique que comprend bien Craig Melson, directeur des programmes de TechUK, fédération britannique de l'industrie digitale qui regroupe un millier de sociétés et qui a intégré durabilité et droits de l'Homme dans son approche. « C'est une industrie encore jeune et nous faisons en sorte d'y insuffler les bonnes pratiques », explique le responsable. « Mais par des programmes comme Tech Against Trafficking, nous pouvons aussi mettre la technique au service de la lutte contre l'esclavage moderne. Car, par l'amoncellement des données, il devient plus facile d'identifier les entreprises et zones à risques pour ce qui est des productions. »

Le défi du partage d'informations

Est ainsi citée la possibilité désormais offerte par l'intelligence artificielle d'anticiper d’éventuelles infractions. « Si vous avez accès aux données fiscales, aux informations publiques, aux données locatives, aux commandes passées... l'IA (intelligence artificielle) devient progressivement capable de vous dire quand il y a un risque qu'une production recoure au travail forcé », explique Craig Melson, qui note par ailleurs les possibilités de données sécurisées permises par les blockchains (ensemble de données infalsifiables car verrouillées après validation par des pairs). Un enthousiasme cependant largement tempéré par Katie Shaw, qui rappelle que l'industrie de la mode s'est historiquement enterrée dans un mutisme concurrentiel autour de ses données.


Exemple de page d'information sur un sourceur dans l'Open Apparel Registry - OAR


« Les choses évoluent, mais la transparence et la responsabilité ne pourront pas avancer sans volonté de partager ses données à l'échelle des filières. Or, c'est bien ce discours que ces dernières tiennent », indique la spécialiste. « L'autre gros problème est la normalisation, car beaucoup trop de données ont été enfermées dans des silos, pour ne servir qu'à un but précis. Or, si ces données ne peuvent être mises en interaction avec d'autres, leur intérêt et leurs enseignements seront très limités. »

Les compétences aussi doivent se mettre en commun, comme l'a démontré avec énergie Agathe Roussel, directrice adjointe de Makesense, communauté de citoyens, entrepreneurs et structures visant à résoudre les défis sociaux et environnementaux. « Notre but est de déverrouiller le potentiel des sociétés afin que celles-ci pèsent sur ces enjeux », explique la porte-parole, qui évoque 80 000 membres, 200 partenaires institutionnels et 32 000 projets soutenus. « L'un des défis majeurs reste d'informer les citoyens consommateurs, afin qu'ils comprennent davantage les sujets qui les intéressent. Car la responsabilisation d'une filière ne peut se faire sans pédagogie à la sortie. »

Le défi de la facilité

Un avis partagé par Marguerite Dorangeon, qui fait de l'accès à des informations faciles à parcourir l'une des priorités des démarches socio-environnementales. « Nous avons mené des tests montrant qu'un consommateur voyant une étiquette verte vantant les mérites d'un produit est souvent perçu comme un voile pudique sur les réelles conditions de production, explique-t-elle. Il faut donc aller plus loin, donner une information qui en plus correspondra au client. On sait par exemple que des parents, ou des vegans, ne vont pas avoir les mêmes critères de recherche dans leur quête de produits responsables. »


L'application Clothparency entend aider le consommateur dans sa décision d'achat de mode, en intégrant des données sur l'impact environnemental et social - Clothparency


Mais les consommateurs ne sont pas les seuls dont la vie devrait se trouver facilitée par la technologie. A l'autre bout de la chaîne, chez les fournisseurs, la mise en commun des données pourrait encourager à l'adoption de pratiques plus vertueuses. « Car il faut parler de la valeur des audits, insiste Katie Shaw. Quand une usine qui investit pour améliorer ses standards voient successivement arriver les auditeurs dépêchés par leurs différents clients, c'est une énorme perte de temps, et cela peut être très décourageant. Alors que si ce travail d'audit pouvait se développer de manière commune, cela changerait beaucoup de choses pour ceux qui méritent d'être soutenus. »

D'un bout à l'autre de la chaîne d’approvisionnement, au sortir d'une phrase de prise de conscience par la filière, c'est donc bel et bien la mise en commun des informations entre entreprises, et auprès des consommateurs, qui se dessine comme le prochain changement de mentalité auquel devra consentir la mode.

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