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24 oct. 2022
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Didier Lalance (Jott): "Notre objectif est de passer d'une marque française à un acteur mondial"

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24 oct. 2022

Depuis que le fonds L Catterton (Ganni, Ba&sh, Birkenstock…) a mis la main sur Jott début 2021, la marque de doudounes marseillaise a fait un pas de géant dans son développement, doublant ses ventes en deux ans pour atteindre 150 millions d'euros en 2022. Une impulsion orchestrée par Didier Lalance, PDG de la griffe fondée en 2010 par les frères Gourdikian, qui passe en revue pour FashionNetwork.com tous les chantiers entrepris depuis son arrivée au moment du changement de main. Internationalisation, évolution du logo, élargissement de l'offre, et naissance d'une stratégie RSE sont autant de sujets discutés avec entrain par le dirigeant, qui, au cours de sa carrière, a évolué chez Asics, Kering et Lacoste.


Didier Lalance - DR


FashionNetwork.com: Comment expliquez-vous le succès des doudounes Jott?

Didier Lalance:
La marque est née il y a un peu plus de dix ans à Marseille dans un groupe familial qui faisait du textile depuis une trentaine d'années, et qui a eu une idée qui parait simple de prime abord, à savoir prendre une doudoune et de lui donner un fit urbain, puis la décliner dans un colorama très large, avec un pochon.

Cela a été réalisé de manière très pertinente, avec un modèle économique où 35 % à 40% du chiffre d'affaires est constitué de produits permanents. Après avoir débuté en wholesale, la doudoune et sa large palette sont mises en scène dans de premières boutiques gérées en franchise et en propre.

La clé du succès c'est donc un produit iconique, qui apporte de la fonctionnalité sans renoncer au style, et avec un bon rapport qualité/prix (par un usage de vrai duvet qui apporte chaleur et légèreté). Cette logique de produits essentiels, très dans l'air du temps, n'implique que très peu de gaspillage car le produit ne perd pas sa valeur en fin de saison. Le positionnement prix (de 135 à 175 euros pour une doudoune légère, jusqu'à 350 euros pour un manteau grand froid, ndlr) éloigne la marque des acteurs premiers prix, mais la place bien en dessus de marques très premium qui sont 25 % à 40% plus chères. C'est un choix délibéré.

FNW: Dans le cadre du rachat, L Catterton a-t-il approché les propriétaires de Jott, ou la marque cherchait-elle un acquéreur?

DL:
La marque était vendeuse, parce qu'elle était à la fin d'un cycle, et que le cycle suivant passait par une 'retailisation', une digitalisation, un travail marketing plus prononcé, et une mise en cohérence permettant l'attaque de l'international. L'enjeu de la famille Gourdikian était de trouver un partenaire capable de porter tous ces sujets.

Depuis près de deux ans, nous avons fait des choses simples mais avec une rapidité d'exécution qui a permis de passer de 80 à 200 magasins. Nous avons professionnalisé, fait venir des experts… sans rien inventer, mais en améliorant les qualités de départ de la marque, avec une enveloppe d'investissement de 15 à 20 millions d'euros par an.


La veste réversible de Jott - DR


FNW: Quel a été le premier axe de travail à votre arrivée?

DL:
 Le travail sur la marque, car c'est le principal levier de création de valeur. Jott est une entreprise relativement jeune, qui a un parcours fulgurant et n'a donc pas l'héritage d'une marque ayant plus de 50 ou 100 ans. Mais elle a un ADN lisible, qui doit être perpétué.

Mon but est d'essayer de ne pas implémenter des erreurs, de trouver le bon tempo. Sur le logo, nous avons travaillé longuement. La nouvelle version reste proche de l'ancienne -nous n'avons pas renoncé au scooter-, mais il fallait que le nom Jott soit beaucoup plus lisible. La phrase "just over the top" disait trop de choses et rien à la fois, et, dans une logique internationale, nous devons nous en séparer. Jott n'a pas encore la même notoriété que le logo, qui provoque une reconnaissance immédiate. Nous essayons donc d'affirmer le nom, de le mettre davantage en avant, en l'affichant par exemple de façon beaucoup plus signifiante en façade de magasin.

Avancer sur l'offre estivale



FNW: Comment faire pour ne pas lasser avec une logique mono-produit?

DL:
Jott est une marque d'outerwear et d'essentiels, qui peut élargir son vestiaire dans ces catégories. Nous avons lancé par exemple des vestes réversibles avec un côté imperméable et un envers doudoune, qui représentent déjà 9 à 10% des ventes aujourd'hui. L'objectif est de pouvoir animer l'offre tout au long de l'année: actuellement les ventes hiver représentent 70% de l'activité, contre 30% l'été. Dans quelques années, nous visons un rapport 60/40, mais nous n'avons pas non plus vocation à devenir une marque 50/50.


La silhouette Jott s'étoffe, avec des produits en molleton - Jott


En ce sens, la marque a la légitimité d'être présente sur le molleton, comprenant des sweats et pantalons, tee-shirts et polos en coton pour homme, femme et enfant, que nous avons lancés cet été. Il s'agit là aussi d'une offre d'essentiels qui va s'enrichir au fil des saisons et représente déjà quelques pourcents du chiffre d'affaires, alors qu'elle ne dispose encore que d'une surface relativement réduite en boutique. Cet élargissement de l'offre est une des raisons pour laquelle le concept magasin a été retravaillé, pour montrer notre diversification. En revanche, Jott n'est pas une marque de mode, nous ne ferons jamais de chemise ou de denim…

FNW: Quelle est la part d'activité réalisée en ligne par la marque?

DL:
Le web est un autre chantier important. Nous avons changé la plateforme e-commerce en juin dernier, l'objectif étant de pouvoir rendre le produit Jott disponible dans chacun de nos magasins (l'unification des stocks sera généralisée en 2023). Les ventes web représenteront 12% de l'activité à fin 2022 (contre 3% au moment du rachat). Nous restons loin des meilleurs qui sont plutôt à 25%, mais allons encore progresser. Aujourd'hui, le site est européen, et il acceptera l'an prochain l'encaissement en livre sterling et en franc suisse, pour accompagner notre expansion.

FNW: Justement, quelle est votre feuille de route concernant le réseau de magasins?

DL:
Nous avons ouvert six filiales (Royaume-Uni, Allemagne, Benelux, Suisse, Espagne, Portugal), et visons 60 à 70 ouvertures l'an prochain à travers le monde, après avoir réalisé 60 inaugurations en 2022. 

Nous allons nous renforcer au Royaume-Uni après deux premières ouvertures à Londres début novembre à Marylebone, et début décembre à Battersea, un centre commercial sublime, situé dans une ancienne centrale éléctrique au charbon. Nous réfléchissons à nous installer à Manchester, car c'est en sortant de Londres que l'on évalue vraiment la réalité du marché britannique.

Une filiale est aussi en cours de création en Italie, pour ouvrir début 2023 deux premiers magasins à Milan et Turin. Nous allons continuer à ouvrir en Espagne et en Allemagne, mais aussi en Pologne, en Hongrie, en République tchèque et en Autriche.

En Europe du Nord, nous poursuivons des discussions, mais n'irons pas en direct. Nous n'allons pas concurrencer sur leur terrain les marques techniques locales. Notre ancrage est urbain, avec l'objectif d'équiper les gens pour aller dîner ou se rendre au lycée, on ne va pas partir en trek en Laponie avec un produit Jott!


Magasin Jott parisien, ouvert dans le quartier Mabillon en 2022 - DR


FNW: Le grand export est aussi dans le viseur?

DL:
Oui, nous poursuivons une logique assez classique de développement dans les 'key cities' (villes clé, ndlr). Notre objectif est de passer d'une marque française à un acteur mondial. Le développement en Asie va se poursuivre sereinement. Nous avons déjà 23 magasins en Chine, ouverts en un an, et nous y enregistrons plutôt de bons résultats malgré le contexte sanitaire local. En 2023, le Japon et la Corée du Sud sont sur la liste, avec chacun trois magasins, en visant les capitales Tokyo et Séoul.

Ensuite, fin 2023 ou début 2024, nous voulons entrer sur le marché américain de façon omnicanale, en ciblant notamment les department stores et les grands multimarques locaux, mais aussi le e-commerce. Nous discutons avec beaucoup d'acteurs, sans précipitation. Nous ne voulons pas rater notre arrivée sur ce marché, où notre produit conjuguant praticité et style peut vraiment bien fonctionner auprès de la clientèle locale.

Développement à Paris



FNW: Quelle est votre stratégie pour le parc de boutiques tricolore?

DL:
En France où nous avons 126 magasins, nous cherchons plutôt à qualifier le réseau. Il n'y aura plus 20 à 25 ouvertures par an. Par des changements de cellules, les boutiques de 50 mètres carrés sont appelées à devenir des points de vente de 75 à 90 mètres carrés. Nous avons aussi quelques magasins de 100/140 mètres carrés comme à Paris, rue du Four, mais l'idée n'est pas de devenir une marque avec de grands flagships.

A Paris, il a fallu corriger une anomalie assez folle: la marque n'avait qu'une toute petite boutique boulevard Saint-Germain. En quatre mois cette année, Jott est entrée dans plusieurs quartiers, en ouvrant à nouveau à St Germain (Mabillon), dans le Marais, avenue des Ternes, rue de Rivoli et à Beaugrenelle. Une ou deux adresses viendront encore compléter le maillage parisien, et la marque vient de s'installer en corner aux Galeries Lafayette Haussmann, chez l'homme et l'enfant.


Le corner enfant aux Galeries Lafayette - DR


FNW: Où fabriquez-vous les produits?

DL
: Historiquement, les fabricants étaient à 90% chinois, mais nous avons voulu limiter les risques en commençant à sourcer également au Vietnam et au Portugal (30% dans ces deux pays pour la collection printemps-été 2023). 

D'autre part, une stratégie écoresponsable, qui n'était pas du tout dans le discours de la marque, a été initiée. Cela devient une obligation, tout le monde doit faire des efforts pour limiter l'impact, nous n'allons pas communiquer spécifiquement là-dessus. La fourrure a été stoppée (4% des ventes étaient auparavant réalisées par des produits à col en fourrure). Depuis six mois, la marque est membre d'ICS (Initiative for Compliance and Sustainability, ndlr), ce qui a permis d'accélérer les audits de toutes nos usines, tandis que toutes des fermes avec lesquelles nous travaillons pour le duvet sont certifiées RDS (Responsible Down Standard, ndlr), assurant que l'animal est respecté. Et tous nos produits en coton et jersey seront 100% bio à partir du printemps-été 2023.

FNW: Et pour les matières synthétiques (polyamide, polyester) que vous utilisez?

DL:
Nous travaillons sur leur caractère recyclable. La seconde main est aussi en projet pour 2023: après collecte et remise en état des produits, ils seront revendus. A plus long terme, l'idée est de réutiliser le duvet qui aura été récupéré après collecte de doudounes usagées.

De plus, trouver un substitut au duvet naturel, qui soit aussi léger et chaud, est très difficile. Sur le marché, nous sommes tous à la recherche de cette alternative synthétique et recyclable de qualité. Aujourd'hui, les substituts ne sont pas satisfaisants.


Le nouveau siège de Jott à Marseille - DR


FNW: Côté logistique, un changement géographique se prépare?

DL:
Jott dispose historiquement d'un entrepôt à Besançon. Nous venons de prendre la décision de doter la marque d'un nouveau site logistique de 10.000 mètres carrés (avec le partenaire italien Movimoda), qui sera implanté à Fos-sur-Mer près de Marseille. Le changement s'opérera en 2023. Il sera situé à un kilomètre du port, ce qui permettra de recevoir tous les produits avec une rupture de charge dérisoire. Et nous pourrons gagner une à deux semaines sur l'acheminement par rapport aux ports du Nord de l'Europe, ce qui n'est pas un luxe par les temps qui courent.

L'entreprise entend rester actrice de son territoire. Nous venons d'ailleurs de changer de siège dans la ville, l'entreprise est passée de 60 à 100 salariés en un an et demi...

FNW: Quel niveau de ventes envisagez-vous pour 2022 et les années à venir?

DL:
A fin 2022, le chiffre d'affaires aura doublé en deux ans pour atteindre 150 millions d'euros, avec 45% sur l'homme, autant chez la femme et 10% sur le segment enfant. Dans les cinq ans, avec une empreinte mondiale qui va grandir, nous pensons être capables de tripler ce montant.

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