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Denis Arnoult (UIT Champagne-Ardenne): "La maille troyenne a une place importante dans la filière textile"

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26 sept. 2022

Ces 27 et 28 septembre se tiendra à Troyes la Citext (Convention internationale sur les textiles techniques et matériaux souples), suivie le 29 par les Assises de la maille, organisées par le Pôle d'excellence de la maille 4.03. Piloté par l'Union des industries textiles de Champagne-Ardenne (UIT CA), cet organe pourrait à terme donner naissance à un "campus de la maille", nous explique Denis Arnoult, président de la fédération industrielle au niveau régional. Le cogérant de France Teinture, par ailleurs vice-président de l'UIT France en charge de la commission sociale, évoque en outre pour FashionNetwork.com les défis actuels de l'énergie et du recrutement, et le rebond de la concurrence étrangère.


Denis Arnoult - France Teinture


FashionNetwork.com : Dans quel état d'esprit les entreprises du textile de Champagne-Ardenne abordent-elles cette Citext et ces Assises, dans ce contexte économique si particulier?

Denis Arnoult : L'audience, de taille au moins équivalente à celle de 2020, nous apporte une belle reconnaissance de cette convention propre aux tissus techniques. Les Assises de la maille, organisées par le Pôle d'excellence de la maille, sont dans ce cadre une première. Il s'agit d'un ensemble d'entreprises et partenaires qui se sont fédérés depuis deux ans derrière l'UIT Champagne-Ardenne et Business Sud Champagne, pour essayer de porter plus haut la maille du territoire troyen. Nous avons localement la chance d'avoir pu maintenir une filière complète, avec tricotage, teinture, confection, complexage et décoration. Cela fait qu'un client peut trouver à Troyes l'intégralité de ce dont il a besoin, pour l'habillement comme pour les usages techniques.

FNW : C'est ce qui fait la spécificité de la filière textile de Champagne-Ardenne ?

DA: La filière locale est spécialisée dans la maille. Nous avons la chance d'avoir de grands noms mondiaux que sont Lacoste et Petit Bateau sur notre territoire. Le Coq Sportif a effectué son renouveau en installant teinture et tricotage à Troyes.

Notre objectif est aujourd'hui de redynamiser une filière locale qui a été fragilisée jusque dans les années 2000, et qui tente de déployer son activité en prenant des parts de marché. Nos entreprises veulent montrer que la maille troyenne existe toujours et a une place importante dans la filière textile française. Dans ce cadre, nous misons notamment sur le chanvre, dans le cadre du Pôle européen du chanvre. Cette filière est encore balbutiante, mais on trouve de grandes surfaces de culture du chanvre dans notre région, et nous voudrions que cette matière puisse aussi servir à notre filière textile locale.

FNW: Quelles sont les ambitions du Pôle d'excellence de la maille ?

DA : C'est une association lancée sur une idée de Petit Bateau, avec Business Sud Champagne et l'UIT CA, qui en a pris les rênes en janvier dernier. Ce pôle s'est créé autour d'un certain nombre de sujets intéressant nos entreprises et leurs clients. L'IFTH (Institut français du textile-habillement) et l'UTT (Université technologique de Troyes) y prennent part, avec département, région et métropole. Des réflexions y sont menées sur l'industrie 4.0, la digitalisation, la gestion des déchets, la circularité, la RSE... Les groupes de travail définissent des axes de réflexion et d'actions, que peuvent s'approprier ensuite les entreprises. Travailler à plusieurs est toujours plus efficace que de travailler dans son coin.

A plus longue échéance, nous avons l'ambition de créer sur Troyes un "campus de la maille". C'est un futur lieu de formation qui est encore à l'état de réflexion. Il aurait vocation à être ouvert à l'ensemble de la filière française pour mettre à disposition un vrai outil de formation en taille réelle, avec des machines pour former nos personnels. Car il n'y a plus de formations initiales ou continues dans notre métier au niveau des opérateurs. Cela pourra aussi permettre à des start-up textiles d'initier leur échantillonnage et production. 

FNW: Comment se porte la filière locale dans cette période difficile pour le textile tricolore?

DA: Economiquement, la situation n'est pas mauvaise et les membres de l'UIT Champagne-Ardenne ont des unités de bonne facture. Cependant, nous faisons face à plusieurs éléments qui se présentent devant nous. Dont l'énergie, bien évidemment, qui est un sujet qui touche tout le monde, et plus particulièrement les activités d'ennoblissement et de teinture.

Dans ce domaine, gaz, électricité et eau sont essentiels. Si la plupart d'entre nous ne sommes pas immédiatement concernés, du fait de contrats à prix fixes signés pour plusieurs années, c'est une situation qui va se faire plus prégnante en 2023. Et si les prix sont encore ceux que l'on connaît actuellement, nous allons au-devant de gros soucis. Beaucoup d'entreprises de Champagne-Ardenne, comme ailleurs, ne peuvent pas supporter des coûts multipliés par 4, 5 voir 10 sans connaître des conséquences qui pourraient être mortelles pour la plupart d'entre elles. Dans ma société, par exemple, l'énergie pèse d'ordinaire 10% de mon chiffre d'affaires. Demain, si je devais payer au prix actuel, cela représenterait 40%. Et ce n'est qu'une des hausses que nous connaissons…

FNW : Faites-vous référence au prix des matériaux?

DA : Nous connaissons en effet depuis deux ans des augmentations récurrentes des prix sur les intrants, tous les intrants, jusqu'aux colorants, plastiques, sel et autre. Au-delà, ce que nous redoutons, c'est un arrêt brutal de ce que la filière locale a pu connaître depuis 2020, à savoir un recentrage sur la France de l'activité textile. Certains se sont rappelés, avec la crise, que le textile existe toujours et qu'il serait bien de le maintenir chez nous. Il faudrait que cette volonté s'inscrive dans la durée. Sachant que nous avons par ailleurs des problèmes de recrutement. Nous avons des postes mais personne pour les pourvoir. Cela contribue à la crainte d'une perte de compétitivité par rapport à des pays lointains à bas coûts qui reviennent en force sur le plan concurrentiel, puisqu'ils n'ont pas de problèmes d'énergie ou de recrutement. Un client m'expliquait récemment que les coûts augmentent de 15% en Europe, alors qu'ils baissent de 15% en Asie. Et ceci alors même que l'on semblait s'écarter un peu, enfin, de la logique de délocalisation permanente. Tout cela ne remet heureusement pas en cause l'investissement des entreprises, qui veulent montrer que la place troyenne et le territoire textile de Champagne-Ardenne continue d'exister.

FNW: Comment les entreprises que vous représentez jugent-elles la réaction des pouvoirs publics concernant l'énergie?

DA : Pour l'instant, ils constatent surtout une certaine absence de position sur la question. Certains disent qu'il pourrait y avoir des coupures pendant l'hiver. D'autres nous assurent que non. Au niveau des prix, personne ne nous dit rien. Le plan de résilience lancé en début d'année a été très peu utilisé car il ne répond pas aux attentes des industriels et ne s'applique en réalité qu'aux très grands groupes, car il faut payer d'avance et voir après pour les aides, faire des bilans tous les trois mois… Ce sont des conditions qui sont intenables et ne répondent pas au problème, car beaucoup d'industriels ont des contrats énergétiques qui s'arrêteront en fin d'année ou en 2023. Et c'est donc là que les problèmes vont réellement se poser. Nous sommes tous inquiets à l'approche de ces renouvellements de contrats. Mais aussi devant l'impossibilité de ces renouvellements, les opérateurs refusant désormais de s'engager sur des prix fixes, au regard de la volatilité des prix.

FNW : Quid au niveau européen, où la confédération du secteur Euratex tente d'alerter sur ces problématiques ? 

DA: Au niveau européen, nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne : l'Espagne et le Portugal ont obtenu de l'UE une dérogation sur le gaz qui alimente leurs centrales électriques. Ils sont donc à 120-140 euros le mégawattheure, contre 550-600 euros en France. Quant au gaz, son prix est encore plus complexe car lié à la situation géopolitique internationale. Mais notre filière a un peu l'impression que le gouvernement n'a pris conscience des choses qu'à la sortie des vacances, et ne sait pas trop bien comment aborder le problème. Rien de précis. Rien de défini. On laisse les industriels dans le brouillard.

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