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2 déc. 2020
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Comment les confinements ont changé les priorités des marques et enseignes

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2 déc. 2020

Intersport présentant son click&collect sur les pages Facebook de chacun de ses magasins, les Galeries Lafayette communiquant sur le lancement de leur service d’assistance vidéo pour le shopping à distance dans 28 de ses magasins ou encore le label Hast imaginant un collectif de marques masculines aux valeurs similaires se réunissant sous l’ombrelle "S’en sortir sans sortir" : passée la stupeur des premiers jours, les marques et enseignes ont abordé le second confinement en ordre de bataille.
 

Après l'avoir testé au printemps, les Galeries Lafayette ont généralisée le shopping à distance lors du deuxième confinement - Capture du site Galeries Lafayette



"La grosse différence, c’est que nous étions prêts cette fois sur tous les process. Il n’y a pas eu la même gestion de crise. Ce n’était pas un problème de basculer l’équipe en télétravail et la logistique était rodée au mode confinement", assure Régis Pennel, patron du multimarque L’Exception. Un constat fait par de nombreuses enseignes qui ont tiré les enseignements des mois de confinement du printemps. La livraison à domicile est le plus souvent gratuite et les délais de retour ont généralement été allongés.

"Nous avons vécu une explosion de l’e-commerce, se rappelle Julie Allanet, directrice marketing chez Vanessa Bruno. Cela nous a permis d’accélérer la transformation digitale de l’entreprise. Et nous avons développé en quelques semaines des solutions. La période a permis de faire découvrir l’e-commerce à une partie des clientes. Cela voulait dire qu’il fallait accompagner ces personnes dans cette découverte. Et, comme nous étions en amont du lancement de notre nouveau site, les retours nous ont permis d’affiner l’expérience utilisateur avant la mise en ligne. C’est maintenant la première boutique de la marque."

Si le relais de croissance du digital est confirmé par tous les acteurs, Kantar estimant notamment que la part du chiffre d’affaires du secteur réalisé en ligne devrait atteindre 21% cette année, dans une période d’incertitudes, chacun cherche la bonne formule... et les tests sont nombreux.

Click&collect, ship from store, drive... quand les boutiques tentent de se réinventer avec de nouveaux services



"Pendant le premier confinement, un service de drive a été mis en place: il s’est accompagné en novembre du déploiement du click&collect en magasin, et le lancement de l'e-réservation, ce qui permet à un client de payer en point de vente la commande passée en ligne, détaille Florian Dinel, directeur France de Kiabi. Ce qu'il est intéressant de noter c’est que le click&collect concerne maintenant 40% des commandes effectuées en ligne. C’est considérable, cela prouve qu’il y a un vrai besoin de pouvoir retirer son colis à proximité, et plus rapidement que par envoi postal (à J+1 en magasin). Cette période fait réfléchir sur l’avenir du commerce."


L'exception a enregistré un bon retour pour sa formule de box haut de gamme et initie une box de noël - Capture d'écran L'Exception



Des questions sur l’accès au produit pour le client final qui divisent les acteurs du secteur. Avec l’enjeu essentiel que ce service ne soit pas une perte supplémentaire pour l’entreprise dans cette période complexe.

"Lors du premier confinement, le retour d’expérience avait été cauchemardesque sur les points de retrait car les clients n’y avaient plus accès et nous n’avions pas d’accès aux colis, se souvient Régis Pennel. Là, nous les avons fermés tout de suite et nous avons fait appel à des coursiers et mis en place le groupement de commandes. Nous avons aussi récemment lancé notre service de box et cela a très bien fonctionné durant le confinement. Dans cette idée, nous lançons une boîte de Noël. En revanche, avec notre boutique de 300 mètres carrés aux Halles, nous n’avions pas d’intérêt à mobiliser plusieurs personnes pour ouvrir le click&collect pour une poignée de commandes par jour."


Eram s'est appuyé sur l'e-reservation et développé ses services - Capture d'écran du site Eram



Un constat partagé par Antony Bâcle, codirecteur de marque chez Eram-Texto. "Pour nous, il n'y a aucun intérêt à rouvrir les magasins pour proposer cette option, car cela génère des frais et mobilise des collaborateurs", expliquait-il récemment. L’enseigne a mis en place un service de call&collect (commander par téléphone et venir chercher sa commande en boutique, ndlr) chez certains de ses affiliés mais a surtout activé sur ce confinement le ship from store (soit le fait de répondre à une commande en ligne en puisant dans le stock d'un magasin, ndlr) dans six magasins. Les responsables de ces magasins y travaillent aujourd’hui deux heures par jour pour préparer des colis, quand une paire en rupture de stock sur le web s’avère disponible dans leur point de vente. Si cela est économiquement viable, la solution pourrait être étendue.
 
Déjà dans l’agenda des marques, l’unification des stocks est devenue une priorité pour la majorité des labels disposant d’un réseau de magasins. Ba&sh, Jonak ou encore Kiabi ont développé leur service.

"Le ship from store est forcément l’un des grands sujets, admet Martin Charousset, responsable e-commerce de Faguo. En ayant le stock en boutique (la marque en compte 27, ndlr), cela doit permettre d'offrir une livraison plus rapide. Aujourd’hui nous avons 15% de l’activité réalisée sur le web mais l’ambition est d’atteindre 30%."



Une volonté accrue d’omnicanalité qui concentre les préoccupations des dirigeants, mais qui n’est pas une solution miracle. Intersport avait déjà déployé le ship from store lors du premier confinement. Mais, les magasins n’ayant pas reçu les dernières collections, l’atout de l’outil s’est évaporé. "Sur ce second confinement, nous avons ouvert le click&collect et le ship from store, explique Jacky Rihouet, président France et Belgique de l’enseigne dont les rayons vélos sont restés ouverts. Mais cela ne représentera au maximum que 17% à 20% du chiffre d’affaires normalement réalisé."

Le net, planche de salut en temps de Covid



Face à l’horizon embrumé, les marques avaient aussi réduit la voilure sur nombre de projets. Juste avant le début du second confinement, à l’occasion de la rencontre des BigBoss de la mode et de la beauté, événement mettant en contact marques et prestataires, les représentants des enseignes plaçaient ce projet d'unification des stocks en haut de la liste. Alors que tous les prestataires pouvaient constater des budgets très serrés pour cette année et peu de visibilité pour 2021, le volet digital a semble-t-il bénéficié de réorientation des budgets d'investissements.


Kiabi a développé le Click & Drive - Kiabi



"Il y a une tendance générale du secteur qui est à la prudence mais pas non plus à l'immobilisme, estime Axel Detours, patron de Captain Wallet, qui a ces derniers mois développer ses services auprès de The Kooples ou Jennyfer. Les chantiers de transformation numérique continuent voire s'accélèrent. Mais les marques sont encore plus vigilantes au retour sur investissement." Pour tenter de convaincre, le dirigeant met en avant un coût inférieur au SMS et un impact de son « wallet » (outil de marketing mobile) sur la récurrence d’achat et la valeur du panier moyen. Les marques ont ainsi souvent réorienté les investissements dédiés aux projets d’ouvertures et/ou de rénovations du réseau physique vers, par exemple, des services aux revendeurs multimarques. Nombreuses se sont lancées sur les plateformes digitales.

"C’est important de soutenir ses partenaires dans cette période, estime Roland Chelly, qui a fondé Majestic Filatures avec Franck Ellia. Nous avons un produit, avec des matières douces et fabriqué en Europe, qui est en adéquation avec les tendances nées des confinements. Dans l’ensemble, pour les multimarques, c’est assez dur alors nous avons apporté de la souplesse dans le service, la livraison, le paiement. Nous avons renforcé le service après-vente. Après, sur le digital, nous savions qu’il fallait monter en puissance. Nous avions renforcé le site et cela a bien fonctionné."

Et clairement, le défi pour les marques a été de réussir à capter les clients qui se tournaient vers le net. Chez Faguo, des montants ont été engagés sur l’acquisition de nouveaux clients. Vanessa Bruno a fait appel à un prestataire lors de la sortie du premier confinement pour organiser la prise de rendez-vous en boutique mais a aussi investi dans la publicité sur les réseaux sociaux pour élargir le profil de sa clientèle.

De son côté, Jonak a revu sa relation avec ses clientes: "Nous avons modifié notre manière d’entrer en relation avec elles. Nous utilisons nos supports digitaux pour prendre la parole, ce n’est plus pour nous un canal de présentation des collections mais réellement un média dans lequel on donne la parole à des artistes, des chefs restaurateurs, des profs de yoga, précise Lisa Nakam, qui dirige l'entreprise avec son frère Marcel. Nous étions à 8% et nous sommes montés à plus de 20% d’activité en digital."


Jonak a développé un ton différent mais a aussi travaillé la relation avec sa clientèle, comme par exemple du 3 au 26 novembre, en tirant au sort chaque jour parmi les commandes passées, une gagnante qui sera remboursée - Jonak



Un décollage du numérique qui apparaît inéluctable. Pour se réinventer certains misent clairement sur ce volet. "La marque écrit un nouveau plan de route explique Stéphanie Tobelem, directrice web et wholesale de chez Naf Naf, récemment reprise par le groupe turc SY International. L’un des piliers est que la part du chiffre d’affaires sur les supports digitaux doit atteindre 35% des ventes contre environ 15% aujourd’hui" Pour accélérer ses ventes en ligne, Naf Naf va reprendre en direct son e-shop mais aussi se développer sur de nouveaux marchés européens via des places de marché. Autant de volets d’activités qui ne sont pas affectés directement par les risques de confinement ou de fermetures de magasins.

Investir sur le digital, un vrai budget



Mais si le commerce physique a ses risques, le digital n’est pas non plus exempt de dangers. Les investissements sont conséquents et, de l’avis d’experts du secteur, marques et enseignes n’ont pas toutes pris leur mesure. Car passer de 10% du chiffre d’affaires en ligne à 20% n’est pas sans incidence.


Intersport a développé ses services dans son réseau français et communiqué sur les réseaux sociaux de chaque magasin - Facebook Intersport



"Il y a des questions sur ce qu’on appelle le 'back', c’est-à-dire toute l’architecture informatique et sa capacité à opérer avec des pics de trafic mais aussi sur le lien avec la logistique qui doit être en mesure d’absorber les hausses de commandes", explique un responsable e-commerce qui souligne qu’un site marchand est obsolète en quelques années et qu'il faut souvent signer un chèque avec cinq zéros pour renouveler son dispositif.

Et visiblement, à en croire un ancien un spécialiste de l’innovation interrogé sur le sujet, l’actualisation et la mise à jour des outils mais aussi le recrutement et la formation des équipes pour traiter ces sujets n’étaient pas forcément le fort du secteur. Aujourd'hui, les entreprises découvrent les budgets nécessaires à leur déploiement digital et font le constat de la compétition qui fait rage pour attirer et retenir les directeurs techniques, développeurs, chefs de produits digitaux.


Majestic Filatures avait refondé son site marchand, réhaussant au passage son esthétique avec des photos signées Gilles - Majestic Filatures





"Chez nous, nous nous appuyons sur une équipe jeune et motivée, se félicite de son côté Roland Chelly de Majectic Filatures. Nous avons changé notre site il y a quelques mois. Tout est plus fluide, plus rapide. Et nous avons aussi la chance d'avoir toutes les photos réalisées par le photographe de mode Gilles Bensimon. Nous avons pris deux ans d’avance sur notre plan de route initial sur le web. Mais je crois encore aux boutiques. Je vois des lendemains qui chantent: les gens auront envie de vivre et consommer."

Heureux d’avoir le bon produit au bon moment et disposer d'un site flambant neuf Roland Chelly? Certainement. Si la crise frappe de nombreux groupes et enseignes, certains acteurs, à l’instar du dynamisme des jeunes marques nées sur le net, tirent actuellement leur épingle du jeu. Avec des capacités d'investissement très souvent gelées dans le contexte incertain actuel, les marques et enseignes historiques qui avaient amorcé cette transition digitale avant la crise pourraient bien avoir pris là un avantage décisif dans la décennie 2020.
 

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