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31 mars 2022
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Carole Benazet (Département Féminin): "Un conseiller de vente doit devenir aussi un influenceur"

Publié le
31 mars 2022

Passionnée de mode, Carole Benazet a fondé en 2001 le concept store Département Féminin, rue Maurice Fonvielle à Toulouse. Cet espace de 300 mètres carrés devenu une institution propose une sélection pointue entre les marques les plus convoitées du moment (Dior, Celine, Balenciaga, Chloé, Saint Laurent, Bottega Veneta, Loewe) et les labels créateurs (Jacquemus, Totême, Lemaire, Acne Studios) autour d’une silhouette chic, intemporelle et minimaliste. La détaillante ajoute désormais à son périmètre l’enseigne Pepa, célèbre boutique du mythique village de Cadaqués, en Espagne, qu’elle ouvre début avril, aussi avec une marque propre. L’occasion de raconter à FashionNetwork.com ses nouveaux projets et la manière dont elle s’est réinventée pour faire face à deux ans de pandémie, via les réseaux sociaux, les vidéo ventes, mais aussi et surtout une nouvelle vision de son métier.


Carole Benazet - DR


FashionNetwork.com : Où en est Département Féminin 20 ans après sa création?

Carole Benazet :
Les projets se sont multipliés et les effectifs vont passer cette année de 15 à 20 personnes. Nous avons lancé l’e-commerce en 2008. Il représente désormais plus de la moitié du chiffre d’affaires, qui s’élève à 5 millions d’euros. Il y a quelques années, j’ai inauguré également "Archive", qui a désormais son propre compte Instagram. Un espace dédié en magasin et sur le site, où je propose des articles d’anciennes collections, que je stylise, avec une sélection de pièces vintage. Nous sommes très actifs aussi sur les réseaux sociaux.

FNW : Comment avez-vous vécu la période de pandémie?

CB :
Au départ avec la boutique fermée, cela a été un peu dur. Mais comme nous étions assez mûrs, grâce aux réseaux sociaux. Et pour finir nous avons fait une meilleure année. En ce qui nous concerne, nous avons beaucoup plus souffert et été fragilisés par les conflits sociaux l’année précédant le Covid-19. Toulouse a particulièrement été touchée. Mais j’avais déjà une forte clientèle locale. Mon modèle est peu touristique, donc avec la pandémie je n’ai pas beaucoup perdu. Le sujet a été de garder le lien avec mes clientes locales.

FNW : Qu’avez-vous fait pour garder le contact avec vos clientes?

CB :
Après une première semaine de sidération, avec une ancienne collaboratrice confinée près de chez moi, nous avons démarré un système de vidéos sur TikTok. Je me suis mise en scène autour de scénettes ludiques pour présenter les produits. L’accueil a été assez étonnant. A chaque fois, on vendait les vêtements. Cela a apporté de la nouveauté sur le mode du divertissement et accéléré la reprise de la boutique après le confinement. C’était la folie. La première année de confinement a donc été très forte pour nous. Le commerce, surtout de luxe, ne se fait pas en attendant les visites en boutique, mais en entretenant le lien avec la clientèle.

FNW : Vous avez continué de produire ces vidéos ?

CB :
Même si on me les demande encore, j’ai dû arrêter. Avec la reprise de l’activité, ce n’était plus possible, car cela prend beaucoup de temps. On avait trouvé ce moyen pour compenser la fermeture de la boutique, mais nous avons identifié d’autres formats qu’on a développés. On a appris à affiner tous ces outils technologiques et numériques. En particulier, la vidéo vente.
 
FNW : Vous pratiquez encore ce type de vente, ça marche ?

CB :
Oui, j’ai réussi à emporter mon staff là-dessus. Avant la pandémie, on ne faisait pas de vidéo vente. Ce format s'est pérennisé et on va même le renforcer, c’est quelque chose qui est en train de monter. La conseillère de vente est là pour vous. Le but est de toujours offrir la meilleure expérience. Vous voyez les vêtements comme si vous y étiez. La seule chose, c’est que vous ne pouvez pas les essayer. En général, les conseillères connaissent si bien leurs clientes, qu’il y a très peu d’erreur. C’est étonnant. Nous avons adopté l’application BSPK, cela permet de gérer plus facilement le fichier client, de partager rapidement photos et informations sur le produit via WhatsApp et d’avoir un lien pour le paiement. Cela marche bien, surtout forcément avec de très belles clientes et de très belles pièces.

La concrétisation d'un projet balnéaire en Espagne



FNW : Qu’est-ce qui a vraiment changé avec la pandémie ?

CB :
En l’espace de deux ans, mon travail a énormément changé. Avant j’avais un site marchand et une boutique et le business s’articulait autour de ça. Les réseaux sociaux ont apporté plus de visibilité et de demande. Sur Instagram nous avons une communauté engagée, cela fait partie du suivi des clients. Tout cela nous a amenées à communiquer davantage. Avec mes personal shoppers, nous avons dû davantage nous présenter à nos clientes. Aujourd’hui, on fait des newsletters. Sur Instagram, on ponctue chaque semaine avec "le look de", etc. Nous nous sommes davantage exposées, alors qu’à l’origine nous ne sommes pas des communicants. Le métier s’est transformé, aujourd’hui, un conseiller de vente doit devenir aussi un influenceur. Et cela demande beaucoup plus de travail qu’avant. Il y a plus d’édition autour des réseaux sociaux et des fichiers clients. Le travail du wholesale est assez complexe, cela c’est beaucoup professionnalisé.


La boutique Pepa de Cadaqués - DR

 
FNW : Vous venez de racheter l’enseigne Pepa à Cadaqués, comment est né ce projet ?

CB :
Depuis très longtemps, j’avais envie d’un magasin balnéaire. J’ai cherché longuement et, voyageant moins loin, j’ai redécouvert Cadaqués. C’est une destination rare, précieuse. Face à la mer, il y a Pepa, une boutique créée dans les années 1970 par trois amis, qui fait partie de l’histoire du village. J’ai racheté ce magasin à l’un des fondateurs et son épouse. L’idée, c’est de redéfinir l’art de vivre au bord de la Méditerranée en incluant marques de luxe et produits locaux.
 
FNW : A quel type d’offre pensez-vous pour cette boutique ?

CB :
Il y a là-bas une clientèle très élégante et raffinée, mais aussi une jeunesse dorée. Nous allons donc introduire Jacquemus, mais amener aussi Loewe et Celine ou encore les bijoux de Samuel François. Le positionnement prix sera plus élevé par rapport à avant. L’objectif est d’apporter quelque chose de frais et de nouveau, mais toujours lié au lieu. On travaillera sur des exclusivités balnéaires et des collaborations, par exemple avec les accessoires de Call it by your name de Colombe Campana. Il y aura des produits locaux, telles les espadrilles ou des tee-shirts Cadaqués dessinés par une styliste du lieu. Nous allons garder aussi quelques marques, qui faisaient partie de la proposition de Pepa, comme Hartford et Bottega di Brunella, label italien de Positano. Mon compagnon, Frédéric Lagarrigue s’occupe du design. Par ailleurs, je lance une marque propre, Pepa Cadaqués, avec Melissa Metaxa, une amie grecque, qui a des boutiques à Athènes et Mykonos. Il s’agit d’une marque balnéaire avec un vestiaire assez complet, produite en Grèce.
 
FNW : Comment allez-vous vous organiser ?

CB :
Pepa sera ouverte d’avril à fin octobre. Nous avons gardé le staff local, dont une vendeuse présente à la boutique depuis plus de dix ans, et allons travailler avec la fille des anciens propriétaires. Par ailleurs, mon équipe se rendra ponctuellement sur place - Cadaqués est à trois heures de Toulouse - pour transmettre les process et l’esprit de notre boutique. Mes collaboratrices sont ravies. Les plus jeunes, en alternance, sont galvanisées. Ce nouveau projet me permet de les retenir davantage. Sans compter que ça fait du bien de s’échapper de temps en temps. Avec les conflits sociaux à Toulouse, cela a été souvent très tendu.
 
FNW : Vous avez renoué avec les Fashion Weeks, quel a été votre sentiment ?

CB :
Retourner aux défilés était important. Tout d’un coup, on est plus inspiré par ce que l’œil accroche. Mais cela a été une saison de transition. Beaucoup de marques présentaient encore en digital et j’ai acheté les deux tiers de mes collections à distance. Sincèrement, cette nouvelle pratique m’a facilité la vie ces dernières saisons, m’évitant des déplacements à Paris ou Milan. Cela m’a beaucoup appris aussi. J’ai compris finalement comment mes clientes achètent à distance, les difficultés de perception, l’appétence pour la couleur qui est plus visible à l’écran, etc.
 
FNW : Comment voyez-vous le marché en ce moment ?

CB :
Je trouve le début d’année assez lourd. Les livraisons ont été affectées à cause de la vague du variant Omicron. Nous avons été bien moins livrés sur des pièces qui auraient pu être achetées. Et maintenant avec la guerre en Ukraine, pratiquement à nos portes, Je sens que les gens sont affectés. On avait besoin d’un peu de repos et là, après les manifestations et le Covid, c’est le troisième coup qui nous tombe sur la tête.

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