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18 oct. 2022
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Au Surf Summit d'Hossegor, un appel à oser engager la transformation plus responsable des marques

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18 oct. 2022

Innover, imaginer de nouveaux modèles de business, repenser les usages. L'industrie du surf, notamment via de belles start-up, possède la capacité d'engager des changements. La jeune pousse Sea Locker, qui après avoir créé l'an passé une application de location de planches de surf en lien avec les shapers et les magasins de surf de la côte Atlantique présente un concept de bloc autonome permettant de mettre à disposition des planches à la location en libre-service après avoir été réservées en ligne. Mêlant accessibilité digitale et proposition de services pour les professionnels et les particuliers, la solution imaginée par Nicolas Farolfi, opte aussi pour une production locale. 


Présentation du concept de Sea Locker - DR



Mais si les jeunes pousses ont souvent, à l'instar des planches de surf Notox ou des pains de mousse de Ployola, une composante environnementale dans leur projet, l'industrie du surf, du matériel aux vêtements a, de l'aveu de nombreux dirigeants du secteur, eu du retard à l'allumage. Les questions de la transformation des pratiques pour améliorer leur impact environnemental et social n'étaient bien souvent peu ou pas abordées.

À cet égard, la seconde journée du Surf Summit organisé ces 13 et 14 octobre par l'Eurosima, le cluster réunissant les acteurs de l'industrie du secteur, entrait dans le détail du chemin. Au programme un état des lieux des risques et du chemin à parcourir... mais surtout un partage bienvenu d'expériences et de solutions.

Tout d'abord, David Salas y Melia, chercheur climatologue au Centre national de recherches météorologiques,a décrypté les conclusions des différents rapports du Groupe international d'études sur le climat (GIEC), pointant les preuves du réchauffement climatique et, sans surprise, l'impact de l'activité d'une humanité urbaine et industrialisée sur celui-ci. Le scientifique a présenté les conséquences, comme l'augmentation du nombre de canicules par an et le risque d'incendies ou le déplacement des zones de tempêtes et l'accroissement de leur intensité. Pour le météorologue, les actions à mener sont nombreuses et chaque acteur peut avoir un rôle, mais pour cela: "il faut aller au-delà des 12 points d'inaction comme les beaux discours non suivis d'effets ou le fait de dire qu'on n'y arrivera pas. Il faut sortir du couplage consommation-croissance-production énergie carbonée". Avant de finir sur une note positive: "L'être humain qui aime tellement la performance pourrait détourner ses objectifs actuels et se choisir d'autres indicateurs. En réalisant des réductions massives de gaz à effet de serre, nous avons encore la capacité collective de limiter le réchauffement mondial à 1,5°Celsius".

Experts et entrepreneurs engagés dans le changement étaient présents



Et pour engager ses transformations présentées comme incontournables et qui peuvent apparaître radicales pour des décideurs d'organisations déjà bien établies, le Surf Summit avait réuni experts et entrepreneurs engagés dans le changement. Aude Penouty, fondatrice de la société de conseil sur le design et le sourcing durable  Entada Textile, a d'abord rappelé le contexte avec un moto motivant: "le changement est un voyage et le voyage, s'il est bien préparé est exaltant". 

La consultante a d'abord souligné qu'en Europe, ce sont des millions de tonnes de vêtements qui sont mises sur le marché: 8,7 millions pour 2020. Des produits pour lesquels une approche écologique du design mais aussi la composition et la fin de vie sont rarement réfléchies. Mais l'oratrice a également taclé des comportements d'industrie : l'obsolescence programmée de certains produits, la création de lignes "green" qui viennent en complément des collections, l'utilisation d'un polyester recyclé qui permettrait de cocher la case responsable.


Gabe Davies de Patagonia, Nin astle, de Reverse Resource, Jenny Lartizien de Chanvres de l'Atlantique, Aurélien Sylvestre d'Oxbow interrogés par Aude Penouty d'Entada Textile - DR



Consolidation des relations avec les fournisseurs (voire partenariats), traçabilité, transparence et même relocalisation sont des défis pour les décideurs. Mais pour les marques, ne pas agir les exposent sans doute plus. "Quand vous voyez un acteur comme H&M qui réalise une combinaison en Yulex qui est mal faite, vous avez vraiment envie que des acteurs comme cela parlent pour vous ?" a tancé la consultante. "Les acteurs qui ne se transforment pas tombent. On l'a vu avec Camaïeu récemment. Vous avez la tendance du Gorpore, qui est d'appliquer les codes de l'outdoor à la ville, avec des collaborations entre marques de luxe et marques outdoor, ou une marque comme Aigle qui vient de défiler à la Fashion Week de Paris. Pour vos marques il y a une place à prendre. Il faut aller la chercher".

Chercher sa place passe par une approche responsable au niveau social et environnemental



Et pour une marque, aller chercher sa place passe par une approche responsable au niveau social et environnemental. Avec l'ambition de réduire leur impact, les marques peuvent ainsi s'impliquer dans le développement d'un modèle d'activité plus circulaire. La bonne nouvelle, selon Aude Penouty, c'est que, même si "la matière parfaite et le procédé de production idéal n'existent pas",  les décideurs ne sont pas seuls pour engager leur changement. Ils peuvent s'appuyer sur des acteurs institutionnels comme l'Ademe, ReFashion ou les Fédérations sectorielles (l'European Fashion Alliance a d'ailleurs vu le jour cet été), sur des ONG (la fondation Ellen MacArthur) et, pourquoi pas,... sur leurs pairs.

Ainsi, sur la scène du Surf Summit, vendredi, Gabe Davies le responsable marketing Ocean de Patagonia a raconté comment la marque californienne a commencé à développer des combinaisons de surf en Yulex, une matière conçue à partir d'une plante grasse poussant dans les déserts américains. Pour l'ancien surfer pro, ce développement est venu apporter une alternative à l'utilisation du très polluant à produire et compliqué à recycler néoprène. Mais si quelques autres labels ont saisi la balle au bond, ou cherché d'autres alternatives, la majorité des combinaisons sont aujourd'hui encore produites en néoprène. "Pourtant, il y a la capacité d'augmenter les productions, a précisé le dirigeant. Mais les marques se sont montrées assez peu intéressées aux possibilités. Nous, nous sommes persuadés qu'il faut sortir du néoprène".

Aude Penouty pointe que les marques ont tout intérêt à avancer sur ces sujets, notamment parce que la grande majorité de leur impact environnemental se situe à la production et transformation de la matière. "Il faut mettre en place des indicateurs de performances sur la transparence du sourcing, la qualité des matériaux, la proximité de la production ou encore l'écoconception et la revalorisation. La loi va aider les entreprises sur ces points en fixant des cadres", avance-t-elle.

Dès 2023, la loi Agec imposera en effet aux marques de fournir des informations sur la composition, l'origine ou encore la recyclabilité des articles neufs dans la mode et le sport (hors bijou et maroquinerie) avec un affichage environnemental. Mais les sociétés prises en flagrant délit d'écoblanchiment, risquent aussi des amendes.

Introduire plus de circularité tout en restant conscients des impératifs économiques



Surtout, les consommateurs, mais aussi les ambassadeurs et les salariés des entreprises sont de plus en plus sensibles à ces thématiques. "Il faut pouvoir passer de la Love brand, que les consommateurs suivaient pour ses produits, à la Care brand, qu'ils chérissent parce qu'ils ont confiance en elle et partagent ses engagements". Et pour la dirigeante, l'implication volontaire des dirigeants est incontournable pour engager ces changements, que ce soit les directeurs généraux mais aussi, voire surtout, des cadres intermédiaires des entreprises. Ce sont eux qui vont pouvoir initier ou appliquer les transformations du modèle pour introduire plus de circularité. Et ceci, tout en restant conscients des impératifs économiques. Mais en devant maîtriser la fin de vie de leurs produits, les marques sont confrontées à de nouveaux challenges. Elles vont devoir développer la recyclabilité, la réparabilité et favoriser le réemploi de leurs production.

Alors à la tête de la marque SKFK, ex-Skunkfunk qui dès le début des années 2000 avait travaillé sur la labellisation de son sourcing matières, Ludovic Quinault a mis sur pied une solution de location en 2019. "Nous sommes tous confrontés au surstock, même en étant éthique et durable. La solution existante ce sont les soldes puis le déstockage et, clairement c'est une baisse de la valeur et une baisse de l'image de la marque. En tant que dirigeant, on se pose la question: pourquoi produire s'ils ne portent qu'une semaine ou trois semaines un vêtement? Pourquoi produire plus alors qu'il y a tellement de produits disponibles? La location est intéressante car pour le consommateur le produit va avoir une utilité maximale. L'idée est de lui louer un vestiaire sous forme d'abonnement, qui permet une optimisation des stocks. Le coût est fixe pour le produit, plus on va avoir des cycles de location, plus ce sera rentable... et plus on aura un produit de qualité, plus on pourra réaliser des cycles. C'est un 'win win'. Et je tiens à préciser qu'au moment où nous l'avons lancé, nous devions rembourser des emprunts importants, donc il fallait que ce soit rationnel. Mais quatre ans après, le dispositif est toujours là et a permis de gagner de nouveaux clients et génère un trafic additionnel en ligne et en magasins".

Ces changements demandent du temps. Skunkfunk travaillait depuis longtemps sur la qualité de son sourcing, Oxbow a de son côté développé des produits Made in France, avec des matières sourcées en France et en Europe depuis l'an dernier et explique avoir dû assumer une partie des achats de matières et essuyer quelques plâtres pour ses deux premières saisons avant de viser une montée en puissance.

La société des Chanvres de l'Atlantique, lancée par Vincent et Jenny Lartizien en 2016, doit quant à elle en permanence évangéliser afin de convaincre les partenaires et l'industrie de la faisabilité et de l'intérêt d'utiliser cette matière issue d'une plante peu consommatrice d'eau et qui pousse en France. Pour convaincre, ils développent leur propre marque. Nommé Nunti Sunya, le label évite les mélanges de matières et pense au recyclage dès la conception des produits, avec notamment des éléments de fermetures qui ne viennent pas altérer les chaînes de recyclage.

Pour des marques établies, le changement de pratiques au quotidien est un exercice important. Mais in fine, il doit permettre de valoriser la marque et ses équipes et trouver des modèles d'activité rentables qui permettront de protéger notre environnement.
 

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