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4 oct. 2004
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«En attendant…» : La saga d'un parfum pour futures mamans

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4 oct. 2004

La créatrice du parfum, Mélanie Leroux, 32 ans, est une jeune femme très discrète. Au cours de l’interview, j’apprendrai seulement qu’un heureux événement, un petit Mathieu, aura été conçu lors du développement du produit. Je souhaitais une note biographique : je l’avais. Mélanie Leroux, qui entend séparer business et vie familiale, est beaucoup plus prolixe lorsqu’on l’interroge sur le parfum.

Mélanie Leroux
Mélanie Leroux : "Parce qu’aucune femme n’est semblable, nous avons trouvé naturel de développer trois versions d’"En attendant...". Pour la première version, nommée «En attendant… Intensément» nous voulions construire une fragrance verte, assez hespéridée, à partir d’une note thé, très tonique, très gaie et pétillante. Avec la seconde version, baptisée «En attendant… Tendrement», j’ai cherché à accentuer la dimension florale, avec des fleurs très fraîches, dans des tonalités très transparentes avec du muguet, du nénuphar, du jasmin d’eau. L’idée était d’évoquer un jardin après la pluie. Enfin, pour la troisième ligne, «En attendant… Autrement», j’ai voulu composer une note florale beaucoup plus originale, beaucoup plus typée. D’où ce choix d’une tonalité résolument exotique, construite à partir de pétales de Tiaré, une fleur qui peuple principalement la Nouvelle-Calédonie et les îles du Pacifique. Tout cela avec un soupçon de vanille… Finalement, avec les trois produits, nous avons réussi à composer une gamme très variée, avec des identités très distinctes, susceptible de répondre à toutes les attentes. Comment êtes-vous devenue parfumeur ? Quel a été le déclic ? J’ai toujours eu un goût particulier pour les parfums et les odeurs… Maintenant, je réalise que mes études scientifiques allaient me permettre d’allier mon intérêt pour les parfums à une vie professionnelle. Quand j’étais au lycée, j’avais entendu parler de l’ISIPCA, cette grande école de Versailles qui prépare à toutes les professions de l‘industrie de la parfumerie. Je me suis donc lancée dans des études de chimie pour pouvoir intégrer l’ISIPCA. Quelle a été votre première vraie création ? Justement, mon premier grand brief a été les trois différentes versions d‘«En attendant...», qui sont un peu mes cartes de visite dans la profession. Je suis à présent parfumeur chez Floressence, une grande maison internationale qui développe depuis Grasse des produits pour différentes marques. Je me suis spécialisée en parfumerie alcoolique, avec également des incursions vers la cosmétique et les parfums d’ambiance, un créneau en pleine expansion… Si Mélanie Leroux fut la cheville ouvrière du projet, c’est auprès d’Hervé Mathieu, 38 ans, inventeur du concept «En attendant…», qu’il faut se tourner pour en comprendre la genèse et la mise en œuvre.
Hervé Mathieu
Hervé Mathieu, comment vous est venue l’idée d‘un parfum spécialement destiné aux femmes enceintes ? Cela fait un certain temps que je suis dans le domaine du parfum, bien que je sois plutôt atypique. Peu après ma sortie de l’Ecole Supérieure de Commerce de Lyon dans les années 90, j’ai été recruté par Chanel pour soutenir le développement de leurs féminins à l’international. Le directeur marketing de l’époque, Jean-Yves Le Troadec, qui trouvait que j’avais un excellent nez «naturel», m’a encouragé à développer une seconde casquette, celle de parfumeur, en plus de ma formation commerciale. Tout a commencé dans les années 96. J’étais alors en plein lancement d’«Allure» pour Chanel. Nous avions conçu toute une série de différentes photos de femmes suggérant que, quelle que soit son allure, toute femme pouvait affirmer son style propre. Et là, il s’est passé quelque chose : parmi les visuels, il se trouvait une femme très belle qui tenait un bébé dans ses bras. Cette femme rayonnait de bonheur et de dignité. Entre nous, nous l'avions surnommée «la reine mère». Or, ce visuel fut retiré au bout d’une semaine. Certains disaient, «une toute nouvelle maman avec autant… d’allure, ce n’est pas crédible !». Ce qui m’a interpellé, à l’époque, c’est cette question : comment pouvait-on ne plus être perçue comme une femme à partir de l’instant où l’on devenait mère ? Comme si féminité et maternité s’excluaient ! C’est de cette contradiction qu’est née la graine d’où devait sortir "En attendant…". Lorsqu’en 2000, j’ai décidé de fonder ma propre affaire de conseil en développement de marques, Fragrance Forward, le projet de créer un parfum spécifique pour femmes enceintes s’est imposé à moi. Il s’agissait de démontrer à mes futurs clients que mon entreprise pouvait se positionner sur de nouveaux créneaux en termes d’originalité autant que de qualité. Ce n’est donc pas seulement une intuition, un pari sur un concept, c’est aussi une stratégie ? Absolument. Ce parfum serait la vitrine de mon savoir-faire ! Le projet lui-même a mis environ un an pour être développé. J’ai d’abord commencé par valider mon concept en posant énormément de questions autour de moi. La plupart des femmes auxquelles je demandais ce qui se passait pendant la grossesse me répondaient : «Eh bien, d‘une manière générale, on arrête de se parfumer. Notre odorat n’est plus le même : nous devenons hypersensibles aux odeurs». Toutes leurs réponses me confortaient dans la certitude qu’il y avait bien une particularité irréductible dans la relation entre les parfums et la femme enceinte. Ensuite, j’ai rencontré des médecins et plusieurs gynécologues. Tous m’ont expliqué que la peau de la femme enceinte est extrêmement sensible. C’est le moment où des allergies inattendues apparaissent, et souvent en réaction aux matières premières qui composent les parfums. Ce sont également des peaux très réactives au soleil. Et comme l’alcool, qui compose 90 % d’un parfum, est un photo-sensibilisant, le fait de se parfumer pendant la grossesse, joint à une exposition au soleil, peut provoquer l’apparition d’érythèmes. Mais c’est davantage la dimension olfactive du problème qui m’a convaincu qu’il y avait bien une opportunité à saisir. Si la femme enceinte, dont l’organisme est bouleversé par un taux d’hormones inhabituel, manifeste souvent une réaction de rejet face à des parfums qu’elle adorait en temps normal, c'était bien la preuve qu’il fallait inventer, en termes de fragrance, quelque chose de nouveau… Est-ce à ce moment là que vous avez rencontré Mélanie Leroux ? Absolument. Pleine d’enthousiasme, avec l’impatience créatrice d’un jeune parfumeur, elle a aussitôt décidé de relever le défi. Le choix d’un collaborateur est une question de feeling. Travailler avec Mélanie a été un bonheur et une chance. D'abord parce que c‘est une femme, ce qui n’était pas négligeable pour ce projet. Ensuite, parce qu‘elle est pleine d‘idées. Lors du brief, l’une des contraintes était la suivante : «Comme je suis un homme, je suis mal placé pour développer davantage le concept. Nous voudrions donc ne faire travailler que des femmes autour de ce projet». Il me semblait important que ce parfum pour futures mamans soit surtout développé par des femmes. Après le brief, comment avez-vous embrayé sur le développement ? A ce moment-là, nous avons essayé de préciser l’imaginaire qui devait accompagner notre produit. Je crois beaucoup qu’un parfum doit évoquer des images, des histoires à raconter. Il s’agit de donner à ressentir. Nous avons réfléchi et nous nous sommes dits : un parfum pour femme enceinte, c’est trop segmentant. Toutes les femmes n’auront jamais envie du même produit. Cela fut vérifié par une longue étude menée en amont. Du coup, nous nous sommes orientés vers l’écriture d’un narratif autour de ces femmes en plein bonheur au moment de la grossesse, mais qui parallèlement sont un peu inquiètes quant à leur image de femme et à leur place dans la société. D’où les trois histoires que nous avons voulu raconter avec les trois parfums d'«En attendant...». Le premier, c’est l’impression que l’on peut avoir en week-end, après un long trajet en voiture, on est surpris tout à coup le lendemain matin en ouvrant la fenêtre par une grande bouffée d’air frais, de graminées et d’air iodé dans les narines. D’où cette fragrance au thé vert qui s’est appelée «En attendant…Intensément». Pour le deuxième, nous voulions une note florale très pure, légère, aérienne mais aussi très aquatique. D’où cette image sereine et douce de parc tropical, de jardin du Sud après la pluie, car les fleurs ont une odeur très particulière après une ondée. Et cela a donné «En attendant… Tendrement». Notre troisième fragrance est la plus originale en terme de création. On a voulu placer des images très positives - de soleil, de vacances, de voyages - et nous sommes partis sur un salicylate vanillé, note dominante dans les solaires, et qui nous permettait de construire un parfum qui évoque un peu la plage. C’est ainsi qu’est né «En attendant... Autrement». Avez-vous fait beaucoup de testing sur des femmes enceintes ? Oui. Mélanie et moi avons interrogé plus de 150 femmes enceintes. D’abord pour savoir s’il y avait un réel changement d’attitude pendant la grossesse, et ensuite pour comprendre de quelle manière cela influençait leur comportement. Nous leur avons donc demandé quels parfums elles portaient avant d’être enceintes, si elles avaient - ou pas - continué de les porter, et si elles avaient changé ou arrêté, et pour quelles raisons. Certaines matières premières que les femmes rejetaient, se sont révélés communes à tous les parfums qu’elles utilisaient. Nous disposions donc d’un corpus de matières premières que nous devions exclure. Ensuite, comme l’idée était de se développer également sur le plan cosmétique, nous avons enquêté dans un certain nombre de maternités en province et autour de Paris. Nous avons rencontré des femmes enceintes d'environ 8 mois lors de réunions de préparation à l’accouchement et nous avons testé leur réactions à une douzaine de compositions. Finalement, nous n’en avons gardé que trois : celles qui composent la gamme d'"En attendant...". Combien d’unités ont-elles été vendues à ce jour ? Environ 20 000 sur un an et demi-deux ans, durée pendant laquelle la promotion a été réellement active… Le parfum est toujours disponible. On peut le commander en ligne en se rendant sur notre site www.enattendant.com. On le trouve aussi au Bon Marché à Paris ou à la boutique Firmaman, boulevard Pereire, dans le 17ème arrondissement de Paris. Il est aussi en linéaire dans plusieurs Séphora, et dans de nombreuses enseignes indépendantes. Quelle est la fourchette de prix ? Environ 34 € pour un vaporisateur de 50 ml. Avez-vous cherché à fidéliser vos clientes après leur accouchement ? Oui, et cela s’est fait très naturellement. Nous avons constaté qu’environ 60 % des femmes qui avaient utilisé ce parfum pendant leur grossesse continuaient à le porter au moins une fois ou deux après la naissance. D’abord parce que le produit est associé à un moment paisible et agréable. Ensuite parce que les gynécologues, qui sont d’importants prescripteurs, conseillent de ne pas perturber le bébé avec une autre odeur que celle que la maman portait pendant sa grossesse. Il y a donc une consommation post-natale, autant pour des raisons sentimentales que physiologiques. Quelles furent les réactions de la profession lors du lancement d’«En attendant» ? C’est assez étonnant. Nous avons eu deux types de réactions très contrastées. En amont, toute la partie création a été très intéressée. Beaucoup de responsables du marketing et de parfumeurs nous ont félicité : « C’est vraiment génial, pourquoi est-ce que personne n’y avait jamais pensé avant vous ? » Il y a même une grande maison française qui m’a avoué avoir dans ses cartons un projet analogue… A côté de ces réactions positives, en aval, l’accueil de la distribution a été beaucoup plus coincé. Sans doute parce que tout cela se passe dans les années 2001-2002, à un moment où la grande distribution commence à rationaliser son offre. Or notre produit les désorientait : autant Séphora a été enthousiaste (ils l’ont placé dans leur réseau de 184 points de vente), autant d’autres enseignes furent beaucoup plus timides, persuadées que positionner notre parfum au milieu d’un rayon de produits pour femmes semblait incongru. La question était : où est-ce qu’on le met ? Dans le rayon soins ? Résultat : plusieurs enseignes ne nous ont pas référencés car elles ne savaient pas où nous situer. C’était une nouvelle niche, un nouveau créneau. Parfois nous nous sommes retrouvés dans les linéaires consacrés aux enfants ! J’étais obligé d’expliquer que c’était une erreur ! La distribution était prisonnière de préjugés… Exactement. Pour eux, un parfum pour futures mamans ne pouvait pas être un parfum pour femme, tout simplement ! Mais tous les distributeurs à la recherche d’originalité nous ont référencés : les Galeries Lafayette, le Printemps et nous sommes toujours au Bon Marché. Nous avons même reçu énormément d’offres en provenance des Etats-Unis : Bergdorf, Saks, etc… Vous développer à l’export ne vous a pas tenté ? Nous n’avons pas donné suite à ces offres parce que cela impliquait des investissements trop importants. Fragrance Forward est une petite structure, ce qui n’empêche pas «En attendant...» d’être quand même présent en Asie et au Moyen-Orient, dans des pays à forte natalité. Nous avions fait ce produit comme une démonstration de notre savoir-faire. Je fréquente chaque année les salons de la profession, comme le Lux Pack ou le Duty Free. Et je sais qu’aujourd’hui, il faudrait mobiliser 200 000 € pour décoller à l’international, ce qui n’était pas notre but. Nous laissons donc le produit vivre sa vie et voilà ! Ceci dit, nous avons déposé un brevet, et tout reste possible dans l'avenir… Avec une distribution de 20 000 unités, avez-vous atteint le point d’équilibre ? Oui, très largement. Ce que nous voulions démontrer, c’est qu’en associant avec goût certains composants standards à d’autres plus spécifiques, tout en s’obligeant à des critères stricts de qualité, on pouvait arriver à un produit original, très désirable et pas spécialement cher. Comme nous avons très peu investi en médias mais plutôt en R&D et en relations presse, le point d’équilibre fut assez vite atteint. Il l’était dès 12 000 unités. Comment la presse parentale a-t-elle réagi ? Très positivement. Nous avons monté des opérations conjointes avec des titres importants de la presse parentale et nous avons eu des articles partout. J’ai même reçu des coupures de presse d’Amérique du Sud, continent que nous n’avons jamais prospecté… Dans la presse féminine, c’est un produit qui a beaucoup fait parler de lui. Au final, «En attendant...» a donc été une bonne affaire ? Il représente 20% du CA de Fragrance Forward. Pour nous, «En attendant...» a atteint son objectif. Il a prouvé qu’une bonne idée pouvait faire son trou et qu’à l’inverse de ce que tout le monde croit, le marché n’est pas saturé. Pour une bonne idée, il y a toujours de la place! Pour en savoir plus : www.enattendant.com et www.fragranceforward.com. Mickaël LAUSTRIAT

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