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4 août 2017
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Paraboot s'offre une nouvelle usine pour pérenniser sa production française

Publié le
4 août 2017

Du brodequin de paysan aux podiums de la Fashion Week. Ce printemps, le savoir-faire séculaire de Paraboot s’est affiché aux pieds des modèles Etudes Studio pour le défilé printemps-été de la marque française. Revisitées par Lemaire l’an dernier, les chaussures iséroises gagnent en hype. Un retour dans la lumière depuis quelques saisons pour une entreprise familiale et indépendante qui défend son expertise made in France. Et qui se donne les moyens de continuer à grandir.

La nouvelle usine de Paraboot


En début d’année, elle s’est installée dans ses nouveaux locaux flambants neufs de Saint-Jean-de-Moirans. La société Richard-Pontvert, propriétaire de la marque, reste fidèle à l’Isère. L’entreprise, dont le président Michel Richard est le petit-fils du fondateur, s’est en effet offert un siège-usine de 11 000 mètres carrés regroupant ses équipes commerciales, créatives et administratives, mais aussi ses unités de production qui étaient basées sur deux sites différents à quelques kilomètres de là, dans les vallées qui l’ont vue naître.

Ce projet à 9 millions d’euros oriente ainsi vers le futur l’activité d’une entreprise née en 1910. Elément révélateur : l’investissement est autofinancé. Tout sauf un hasard, selon Pierre Colin, directeur marketing de la marque, qui nous fait découvrir le nouveau bâtiment. « A la fin des années 1970, l’entreprise réalisait 45 % de son activité à l’international, en particulier aux Etats-Unis et au Japon. Mais avec la crise pétrolière et la chute des devises, elle a perdu d’importants clients et s’est retrouvée avec des factures impayées. Les banques n’ont pas voulu suivre et Michel Richard, malgré des restructurations, a dû déposer le bilan. Heureusement, les fournisseurs, les syndicats et les partenaires historiques en Italie ont cru dans l’entreprise. Ensemble, ils obtiennent le maintien de l’activité. Mais le président se souviendra toujours de cet épisode. »

Dans l’industrie, la pérennité se lie souvent à la mémoire et au respect du passé. Et lorsqu’au milieu des années 1980, la marque, qui équipait les professions laborieuses, devient désirée par les urbains, le dirigeant de Richard-Ponvert se remémore les passages délicats. L’héritier éconduit les banquiers qui reviennent le voir et fait alors en sorte de ne pas être dépendant d’eux. Le développement du réseau de boutiques (une trentaine aujourd’hui) se fait donc sans endettement.

La marque produit sur place ses semelles - FashionNetwork


A l’heure de quitter les bâtiments historiques des villages d’Izeaux et Tullins, il a par ailleurs décidé de prendre du recul, préférant confier à Régis Feuillet, le directeur général, l’opérationnel et la transition vers une nouvelle étape de l’histoire de l’entreprise. Entre les murs d’un bâtiment moderne et équipé se retrouvent les gestes d’un savoir-faire construit au fil de plus d’une centaine d’années d’histoire. Le nouvel espace a permis une mise globale aux normes, une optimisation des flux qui a été le fruit d’un an de réflexion, ainsi qu'une meilleure organisation logistique.

Ici, on conçoit les modèles des prochaines saisons avec une équipe intégrée menée par Jean-François Clarin. Le responsable de la création exploite les retours terrain des commerciaux et des partenaires internationaux. En quelques mois, entre ses mains et celles des équipes, d’une quarantaine d’idées naissent les nouvelles interprétations et les nouveaux modèles. La force de la maison étant de pouvoir s’appuyer sur une offre de modèles permanents, ce qui lui permet de limiter coûts de développement et soldes.

Atelier de découpe laser - FashionNetwork


Une fois les besoins validés et les commandes enclenchées, la production peut démarrer. On pioche d’abord dans les cuirs issus des tanneries avec qui l’entreprise collabore depuis des décennies (Degermann et Haas, Tannerie Roux, Tanneries du Puy, Tannerie d’Annonay ou encore Horwin, chez qui Paraboot se fournit en Cordovan). Pour apporter ces pièces de cuir à la découpe, il faut alors traverser ce qui fait la spécificité de l’entreprise : la presse. La production des fameuses semelles en caoutchouc est intégrée au processus interne. Un nouveau malaxeur doit encore être installé (le précédent était scellé dans le béton des anciens locaux), mais deux imposantes presses fonctionnent déjà dans le grand hall qui a vue sur les massifs du Vercors et de la Chartreuse. Elles permettent de produire, en 14 minutes de cuisson, les pièces en caoutchouc (à la densité et la souplesse désirée) qui constitueront la semelle Paraboot.


Plusieurs étapes sont nécessaires pour réaliser le piquage - FashionNetwork


« C’est un savoir-faire et cela valorise évidemment nos produits, souligne Pierre Colin. Lorsque nous développons un nouveau modèle, cela signifie que nous devons produire les nouveaux moules si nous créons une semelle. C’est un investissement conséquent. »

« Savoir-faire » s'impose bel et bien comme un mot clé pour Paraboot. La construction d’une chaussure haut de gamme s’appuie sur l’expérience des ouvriers de l’atelier. Ils sont une centaine à réaliser des gestes parfois transmis de génération en génération sur des machines bien souvent monotâches.

Une expertise que l’on découvre dans le processus de fabrication d’un modèle. La découpe, manuelle ou au laser, permet de préparer les pièces pour le piquage. Selon le modèle, les ouvriers utilisent des machines différentes afin de créer la tige désirée. Les pièces se dirigent ensuite vers l’une des deux chaînes de montage. C’est lors de cette étape que les opérateurs lient la semelle à la tige avec la trépointe (une bande de cuir souple et résistante) pour un cousu norvégien ou goodyear. Concrètement, les deux techniques diffèrent par l’angle de la couture. Les chaussures partent ensuite en finition avant d’être préparées pour l’expédition.

Les deux chaînes d'assemblage voisinent dans la nouvelle usine - FashionNetwork


« En moyenne, la réalisation d’une chaussure nécessite 150 opérations, précise Pierre Colin, qui détaille ce qui différencie la marque du mass-market. Dans un modèle entrée de gamme, vous avez souvent une doublure collée, pas cousue. Cela ne permet pas au pied de respirer. Vous n’avez pas non plus de cambrion : il s’agit d’une pièce en bois placée en longueur depuis le talon et qui permet une tenue de la chaussure et donne une bonne posture au porteur. Ce sont ces éléments qui font la durabilité et la qualité de la chaussure. »

Etape de finition des modèles - FashionNetwork


Un souci du détail nécessaire pour continuer à faire fonctionner une usine en France (et employer 200 personnes au total avec sa vingtaine de boutiques). Les racines de Paraboot s’ancrent dans les brodequins, solides, utilisés par les travailleurs des champs, les bergers et les montagnards. Le fondateur de Paraboot, Rémy Richard, était avant tout un habile commerçant. Né en 1878 dans le village d’Izeaux, spécialisé dans la production, avec plusieurs ateliers, de chaussures avec tige en cuir et semelle en bois, il travaille dans ce secteur comme ouvrier-coupeur dans l’atelier Chevron. Mais décide de créer sa propre structure en contactant directement les donneurs d’ordres à Paris. Son savoir-faire allié aux ressources financières de la famille de son épouse, Juliette Pontvert, permettent la création de l’entreprise à partir de 1910 et l’achat d’un premier atelier en 1920. L’entrepreneur développe aussi la marque Galibier, destinée aux métiers de la montagne, dès 1922.

L’élément décisif de la naissance de Paraboot intervient en 1926. « Il se rend aux Etats-Unis et découvre les boots en caoutchouc. Aigle faisait bien des bottes en caoutchouc, mais Rémy Richard imagine des semelles en caoutchouc pour remplacer les semelles jusqu’alors réalisées en bois ». En important la matière et développant une presse pour la vulcanisation, l’entrepreneur pose les bases d’une activité qui assurera la pérennité de son entreprise. Paraboot emprunte au nom du port de Para, cité aujourd’hui déchue du Brésil, et y accole le « Boot » américain.

La transmission du savoir-faire fait partie des grandes préoccupation de la marque - Paraboot


Ces racines américaines ont donc permis la construction d’une entreprise qui se défend aujourd’hui sur le marché de la chaussure haut de gamme avec son savoir-faire français. Regrouper ses lignes de production d’Izeaux et Tullins était un défi. Sur les 200 000 paires commercialisées par Paraboot, 120 000 sont réalisées en France. Les autres, mocassins et bateaux en cousu blake, sont fabriquées en Italie et au Portugal, la plupart du temps chez des partenaires historiques. Mais ses modèles réalisés en France, comme la Michael et Chambord (haut de gamme) et ses produits « dandy », dédiés à être patinés, représentent 80 % de son chiffre d’affaires. Un atout mais aussi une spécificité qui fait que la transmission des savoirs et le renouvellement des équipes est un sujet crucial pour l'entreprise. L’emménagement a légèrement pénalisé l’activité et les ventes 2016-2017 (conclues au 31 août) devraient être en léger repli par rapport à l’exercice précédent, qui affichait 24 millions d’euros.

Mais pour une année complexe, Paraboot s’offre l’outil pour continuer de grandir et proposer à ses employés un cadre modernisé. La marque possède une capacité de production aujourd’hui nettement plus importante. Elle dispose aussi des capacités pour développer aisément d’autres produits avec une ligne semi-automatisée qui lui permet de produire ses chaussures sportswear en cuir. De nouveaux horizons s'ouvrent. Pour l'entreprise centenaire, l’ambition s’inscrit, à son rythme, sur le long terme.

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