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23 oct. 2014
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Luxe et numérique, un mariage difficile

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23 oct. 2014

Contrairement aux apparences, luxe et numérique semblent avoir encore du mal à marcher main dans la main. Certes, toutes les grandes griffes sont présentes sur le Web et ont un manager responsable du numérique, mais peu semblent avoir compris les enjeux de la révolution digitale, n’exploitant qu’en partie ce nouvel outil.

Tel est le tableau en clair-obscur ayant émergé du forum international Decoded Fashion Milan promu par e-Pitti.com et Stylus, qui s'est tenu mercredi 22 octobre dans la capitale lombarde.

Decoded Fashion Milan a réuni le 22 octobre les mondes du luxe et du numérique


Les opportunités offertes par le numérique sont immenses, comme le souligne Dennis Valle, group director, respondable du marketing mondial de Versace : "Près de 44 % des ventes sont influencées par le numérique, et l’impact de cette technologie sur notre vie quotidienne est en train d’évoluer à une rapidité exponentielle. Le secteur du luxe peut en tirer un grand bénéfice à condition d’intégrer le digital à 360 degrés dans sa stratégie. Or pour y arriver, il faut changer les mentalités à tous les niveaux, de la création à l’organisation, à la communication, en passant par la distribution".

C’est ce changement de culture en profondeur, qui constitue, selon Dennis Valle, le vrai défi à venir pour le secteur du luxe. "La première grande difficulté a été la barrière culturelle, mais nous avons désormais franchi cette étape", renchérit Federico Barbieri, vice-président numérique et e-business de Kering. "Gucci a été la première griffe à lancer l’e-commerce en 2002, mais ce n’est que depuis peu qu’ils ont commencé à recruter des profils différents", reconnaît-il.

"Le groupe est en train d’investir énormément sur ce secteur", souligne à ce titre le manager, selon lequel "le Web pèse directement 3 à 10 % en moyenne sur les ventes totales de chaque marque du groupe. En revanche, l’impact indirect du digital est plus difficile à mesurer."

Les difficultés aujourd’hui sont celles de "définir les priorités, marque par marque". "Nous avons travaillé jusqu'ici sur les fondamentaux. Maintenant, nous allons accélérer le mouvement avec des nouveautés digitales pour plusieurs de nos griffes. Le problème, c’est que le luxe ne doit pas perdre de son essence. C’est la technologie qui doit être au service de l’expérience du luxe et non le contraire. Il faut d’abord penser au luxe, puis au digital. Pour transmettre une expérience unique au client, il faut porter l'attention au détail. Notre stratégie consiste à procéder à travers de nombreux, mais petits changements", note-t-il.

S’inscrit dans cette même approche prudente, Jarvis Macchi, global digital PR manager du groupe Tod’s, qui estime quant à lui que "le grand changement adviendra lorsque l’expérience digitale arrivera dans le magasin physique". "En ce qui nous concerne, nous avons totalement intégré la dimension digitale à notre communication, mais le plus important, c’est l’histoire que l’on raconte. Nous avons choisi par exemple de ne pas être présents sur Twitter, car nous estimons que cette plateforme n’est pas adaptée à l’esprit et aux valeurs que nous voulons véhiculer", poursuit-il.

Le showroom virtuel proposé depuis l'été dernier par Jimmy Choo


Pourtant Twitter a le vent en poupe en matière de mode, à en croire les chiffres livrés par Salvatore Ippolito, country manager de Twitter Italie. "Un tiers des utilisateurs italiens de Twitter est en contact avec des marques de mode. Nous avons constaté que les conversations sur Twitter ont bondi de 40 % lors des dernières Fashion weeks de septembre par rapport à l’an dernier. L’important pour les marques, c’est d’envoyer le bon message au bon moment, si elles veulent augmenter leur chance de conversion à l’achat. Avec l’hashtag ‘shopping’, nous enregistrons par exemple un pic de conversations surtout le vendredi soir et le samedi", indique-t-il.

De plus en plus proche de la mode, Twitter est en train de plancher à un projet inédit avec la marque britannique Topshop, qui sera lancé l’an prochain à Londres. "Durant la Fashion week, Topshop va analyser les contenus échangés par les utilisateurs de Twitter pour dégager en direct les tendances qui émergent en terme de couleurs, tissus, etc. Au même moment, la marque proposera sur des panneaux publicitaires numériques situés non loin de ses magasins des pièces correspondant à ces tendances", résume Salvatore Ippolito.

Certaines griffes ont bien compris l’avantage d’exploiter à fond les infinies possibilités offertes par le Web comme Burberry, considérée l’une des pionnières en la matière, ou Jimmy Choo qui a lancé récemment le premier "showroom virtuel" permettant aux internautes d’accéder à la collection tout juste présentée à la presse et aux acheteurs, avec la possibilité d’acheter directement certains modèles ou de les précommander.

"Le digital est une opportunité fantastique, que nous utilisons en permanence. Les gens passent leur vie reliés à leur téléphone mobile ! La difficulté consiste à leur envoyer le bon message au bon moment. Nous passons beaucoup de temps à analyser les réseaux sociaux et à éplucher les mails de nos consommateurs pour comprendre au mieux leurs exigences", témoigne Uri Minkoff qui a fondé en 2005 avec sa sœur Rebecca, la marque américaine à succès, Rebecca Minkoff.

L'une des tables rondes organisées lors de la 2ème édition de Decoded Fashion Milan, le 22 octobre 2014


"Nous avons reçu, par exemple, la demande via Internet de la part de nombreux clients d’ajouter des franges à l’un de nos modèles de sacs. Autre exemple, nous répercutons sur les réseaux sociaux les images de personnes portant nos vêtements ou accessoires", indique-t-il.

"Les sociétés les plus jeunes sont les plus réactives et les plus ouvertes aux nouvelles technologies. En revanche, il y a encore une attitude très conservatrice de la part des grandes griffes. De même qu’elles font appel toujours aux mêmes photographes et continuent de proposer le même type de campagnes finalement très similaires entre elles, elles utilisent le Web de manière somme toute assez classique. Je me demande si au final, elles n’ont pas peur d’utiliser le numérique", conclut un opérateur du secteur de luxe au terme de cette journée consacrée à la mode et aux nouvelles technologies.

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