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Delphine Vitry (MAD Network) : "L’omnicanal a laissé place au no-canal"

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27 août 2018

Passée par PSA et Danone avant de rejoindre Louis Vuitton en 2000, puis Céline six ans plus tard, Delphine Vitry a fondé en 2009 avec Jean Révis le cabinet de conseil MAD Network spécialisé dans l’expérience client et le retail, puis le cabinet de chasseurs de têtes MAD Talent, et créé aussi l’an dernier la MAD Academy, qui propose des programmes de formation sur-mesure pour les griffes. Forte de son expérience, elle vient de publier avec son associé le livre Mad about luxe, dressant un état des lieux de l’évolution du marché du luxe. L’occasion pour elle d'évoquer avec FashionNetwork.com les nouveaux enjeux du secteur.


Delphine Vitry - DR


FashionNetwork.com : Quel est le défi pour les maisons de luxe aujourd’hui ?

Delphine Vitry :
Il y a une profonde évolution de la culture du luxe et des personnes qui travaillent dans ce secteur. Jusqu’à peu, l’industrie du luxe proposait sa vision du monde, dans une dynamique pas forcément favorable à l’écoute du client. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les maisons ont le devoir de connaître leur client, de l'écouter. Cela ne signifie pas pour autant d’aller aveuglément dans leur sens. Elles doivent continuer à préserver leurs choix créatifs. Il faut donc comprendre des clients aux profils multiples en constante et rapide mutation, tout en gardant sa puissance créative. C’est un enjeu majeur et principal. Mais aussi compliqué. Une stratégie, on peut la décréter. Une culture, c’est plus difficile à faire évoluer.

FNW : Comment l’industrie du luxe peut affronter ce radical changement de culture ?

DV :
En déclinant à tous les niveaux cette équation, qui consiste à s’adapter à ce nouveau monde qui bouge à 300 à l’heure sans renoncer à ses fondamentaux : aussi bien dans la stratégie retail, l’expérience client, le digital comme outil majeur, que dans l’organisation et les process des entreprises avec la montée en puissance de nouveaux profils managériaux.

FNW : Quelles sont les préoccupations majeures des entreprises de luxe aujourd’hui ?

DV :
Le type de demande a changé. Il y a dix ans, les solutions semblaient plus concrètes. Parfois, il suffisait de changer le concept d’aménagement de ses boutiques. Aujourd’hui, cela ne suffit plus. Le modèle unique, uniforme et applicable à tous, ça ne marche plus. De nouvelles questions émergent, qui ne se posaient pas par le passé, telles que : comment vais-je pouvoir faire évoluer la culture de changement tout en préservant ma puissance actuelle ? Une question qui se pose à tous les niveaux, à commencer par la vente.

FNW : Quel rôle joue aujourd’hui le vendeur ?

DV :
Le métier de vendeur est en train de changer fortement face à un client qui mue très vite. On assiste à une reconsidération du métier de la vente, qui devient de plus en plus complexe et professionnalisé. Lorsqu’on achète une montre très haut de gamme, cela n’est pas rationnel. Dans le luxe, on touche beaucoup plus le cœur que la tête du client. Il y a donc une dimension fondamentale autour de l’empathie. Mais également autour de la connaissance de la marque et du produit.

FNW : Quels autres métiers sont en train de changer dans le luxe ?

DV :
En fait, ce sont les organisations dans leur ensemble qui sont en train de changer. Même si cela prend du temps. On ne peut embarquer une entreprise uniquement avec des PowerPoint ou un claquement de doigts ! Il faut sensibiliser au plus haut, en commençant par les membres des comités de direction. D’où l’émergence de nouveaux métiers qui s’appuient sur des organisations elles-mêmes en train de changer. Ces nouveaux jobs sont dans la responsabilité de mettre l’organisation dans la situation de mieux connaître le client. Les CEO des maisons de mode ont aujourd’hui la volonté de se rapprocher au plus près des clients. La fonction de Chief Customer Officer (directeur de l’expérience clients) a ainsi pris du galon dans la hiérarchie, ces derniers rendant compte désormais directement au CEO. Emergent aussi les Chief Client Officer (directeurs clients), pratiquement inexistants il y a sept ans.

FNW : Concernant la distribution, quelle est l’évolution entre digital et retail ?

DV :
L’omnicanal a laissé place au no-canal. Il n’y a plus de distinction entre les différents canaux de vente. Ainsi, la promenade sur le site d’une griffe doit être cohérente avec celle de ses boutiques, tandis que la boutique doit s’organiser de manière à générer du business aussi sur le Web.

FNW : Comment voyez-vous le futur de la distribution dans le luxe ?

DV :
Actuellement, le pourcentage des transactions sur le Web dans le luxe reste faible et il le restera encore dans les 10 prochaines années. On continuera donc à se rendre en boutique. Le point fondamental est constitué dès lors par l’emplacement des magasins. Aujourd’hui, le prix des loyers est tel que si une marque ne fait pas partie d’un groupe très puissant, elle n’a pas la possibilité de se développer. Ces loyers exorbitants sont une barrière colossale pour les nouvelles marques. En s’autorisant un peu de perspective et avec beaucoup de prudence, on pourrait imaginer, si demain l’emplacement des boutiques devenait moins fondamental grâce à une mobilité urbaine plus fluide, l’émergence de nouveaux acteurs. Cela pourrait être bouleversant.

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